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dimanche 31 janvier 2010

LA FERME!




Aujourd'hui, j'ai pas envie de rigoler. Mais alors, pas du tout. Envie de gerber ou de pleurer. Au choix. La ferme est revenue décharger son purin nauséabond dans nos salons et nos cerveaux. Vous m'direz, je n'suis pas obligée de regarder. On est d'accord. D'ailleurs, je ne regarde pas. Mais je vomis quand même. C'est que sans regarder ça, ça me regarde. C'est que ça en prend de la place, cette daube. Dans les journaux, les conversations, à la radio, et surtout à la télé. Un ramassis de "has been" en manque de passages dans le poste dont on filme l'intimité peu ragoutante en prime time sur TF1 commentée par deux présentateurs cyniques et vénaux fait mine de passionner les foules? J'ai les dents du fond qui baignent!

Ça prend aussi de la place sur facebook, (ben oui, faut vivre avec son temps) où les commentaires abondent. "Mieux vaut en rire qu'en pleurer" dit celui ci, "Il y a pire" dit celui là. "C'est rigolo" lance un autre "Au diable les valeurs!" ose un dernier. Au diable les valeurs?! Au secours! Mais comment peut on à ce point ne pas se rendre compte des dégâts collatéraux que causent ces émissions de merde! Même Jean-Pierre Foucault qui, jusqu'à présent gardait une certaine dignité et disait tout le mal qu'il pensait de la télé-réalité a fini par succomber au chant des $irène$. Misère… Misère… Misère intellectuelle, d'abord. Perte des valeurs, ensuite. Et incidence directe sur la capacité à réfléchir ou à simplement s'émouvoir du spectateur.


OK. La télé toute puissante est devenue un gage d'existence. Si tu ne passes pas à la télé, tu n'existes pas. T'es mort. A contrario, ceux qui y passent existent. Pour ceux qui passent dans la Ferme, c'est bingo! Là, il ne faut rien faire, en tout cas rien de créatif, il suffit d'"être" et de se laisser filmer en train de passer la serpillère ou de trier les ordures, en échange de quoi on vous en met plein les fouilles. Le but n'est pas de "faire" ou de "dire" quelque chose à la télé, mais juste de "passer" à la télé. Pour se sentir vivant. Vu à la télé. Quand on veut juste être connu et gagner plein d'argent c'est cool. Quand on veut être artiste, c'est impossible!


De toutes façons, les gens, c'est plus acteur ou chanteuse qu'ils veulent faire. C'est "people". Le cinéma ou la chanson n'étant plus que des moyens pour y arriver. Pas des images justes. Juste des images. Les artistes, dont le rôle a toujours été celui de tendre un miroir poétique, rebelle ou critique au monde, ne sont plus là que pour servir de caution à la loi du marché. Et ce ne sont pas des émissions où on voit des gens se chamailler pour du liquide vaisselle ou un balai de chiottes qui va arranger les choses. "C'est ainsi que l'écran de télévision est devenu aujourd'hui une sorte de miroir de Narcisse, un lieu d'exhibition narcissique" écrivait Pierre Bourdieu dans son indispensable petit livre rouge "Sur la télévision" en 1996. Depuis, inutile de dire que ça ne s'est pas arrangé. Comme pour le reste, l'argent roi, la loi du marché ont triomphé.

Cette année ils ont cru bon de délocaliser cette ferme en Afrique. Quelqu'un de chez Endémol aurait il lu Karen Blixen par distraction? "I once had a farm in Africa…" l'Afrique, c'est chic! Comme au zoo, ou il y a cent ans à l' Exposition Coloniale. Avec des gens derrière les barreaux. Sauf que c'est à l'envers. On emmène les petits blancs au pays des singes… La seule différence notable, c'est que c'est pas des cacahuètes qu'ils gagnent, les "peoples" derrière les barreaux du téléviseur.


Ou alors, c'est que l'Afrique, ça rime avec le fric! C'est fascinant comme ils ont un inconscient limpide les gars de chez Endémol. Car l'unique enjeu ici, c'est l'argent. Beaucoup d'argent. L'éternel pacte avec le diable. C'est moche! Pour paraphraser Coluche, quand on pense qu'il suffirait que les gens ne regardent pas ces émissions pour que les chaînes ne les programment plus.


Ce qui est étonnant, c'est qu'il y a toujours des imbéciles ou des naïfs pour vous demander "Mais alors? Et toi? Pourquoi tu ne la fais pas, cette ferme? Tu dirais non à 10 000€ par semaine?" Oui. Je dirais non. Je dirais même "plutôt crever!" Parce que faire ce genre de merde, c'est juste planter le dernier clou du cercueil. Parce que ça ne rebooste en rien une carrière. Ça l'enterre. Ça la décrédibilise définitivement. Ça participe à un système qui use tous les jours un peu plus le désir du public pour les artistes. De nos jours, quand ceux-ci sont invités dans le poste pour causer de leur travail, il n'est pas rare qu'ils ne soient là que pour servir de tête de turc à un chroniqueur plus ou moins inculte et vulgaire, quand ça n'est pas juste pour justifier la présence, donc le cachet pharamineux, du présentateur vedette. Car c'est le présentateur la vedette, pas l'artiste. D'ailleurs, l'artiste, au prétexte qu'il vient vendre sa camelote, vient faire le show gratos, lui.


Je résume: les artistes ça ne vaut rien. C'est de la chair à foutage de gueule. Et les cons qui n'ont aucune pudeur et rien à raconter sont les rois du pétrole! Comme tout le monde le veut son quart d'heure de gloire warholien, on nous fabrique des émissions ad hoc dans lesquelles le péquin moyen même, (surtout) s'il n'a rien à dire, peut s'exprimer. "Quand on n'a rien à dire et du mal à se taire, on atteint les sommets de l'imbécilité" écrivait le poète Bernard Dimey.


"On en peut pas être et avoir été"? Une chose est certaine. On ne peut pas être artiste et avoir été un "client" de télé réalité. On devient, le temps de la diffusion, un "people", ce qui n'a strictement rien à voir, avant de retomber aussi sec dans le vide intersidéral de l'anonymat le plus crasse.

De plus en plus de gens se libèrent de la télé. Moi même, je ne l'allume plus que rarement. Pourtant, j'étais téléphage dans le temps. Mais aujourd'hui, et ce, malgré les nouvelles chaînes qui pullulent (car (presque) tout le monde fait la même chose) on ne trouve plus que "zappings", " rubriques people", "chroniqueurs", et les sempiternels invités happy few qui font le tour des chaines, leur paquet de promo sous le bras. Promo lave plus blanc!


La résistance, elle est là. C'est contre ce grand frère "big brother" qu'il faut lutter. Celui qui prend nos cerveaux en otage. Qui nous essore les neurones.

Bien sûr la télé peut créer des choses merveilleuses, susciter de vraies découvertes, de vraies rencontres. Il y a, et il y aura toujours des journalistes et/ou des producteurs pour proposer des images qui ouvrent l'esprit, font voyager ou distraient sans abrutir mais une émission comme "la Ferme" flatte les instincts les plus glauques. Allez, j'avoue qu'une bonne grosse connerie à la télé, parfois ça détend. Ça peut dépanner pour trouver le sommeil. Mais de là à ce qu'elle tire à elle les couvertures des journaux et que les autres médias, le doigt sur la couture du pantalon, nous décrivent par le menu ces non-évènements il y a un pas. Et vous aurez remarqué comme moi que ce qui intéresse le plus les médias, donc les gens c'est: "Combien ils gagnent?". Le cachet exorbitant des protagonistes est devenu le premier, le seul vrai sujet. Ça fait peur.

Mais jusqu'où peut on s'avilir pour de l'argent? Jusqu'à renoncer à sa dignité? Jusqu'à se renier? (cf J P Foucault?) Comme au Japon où le sadisme des concepteurs d'émissions atteint des sommets?


La télé, devenue une très lucrative machine à has been, invente toutes ces "nouvelles" émissions où elle recycle jusqu'à la nausée les has been qu'elle a créés. Ce sont ses monstres, ses créatures, ses pantins, ses Frankenstein. Les monstres vont-ils se révolter, et faire péter de l'écran plasma, ou les marionnettistes nous tiennent ils tous par les cordons de la bourse?

La télé? Quand ça m'embarque en terre inconnue je suis cliente, mais quand c'est ça, je dis non. Personnellement, je préfère faire partie de ceux qui l'éteignent et qui l'ouvrent. Plutôt que de ceux qui l'ouvrent et qui la ferment! CQFD!


jeudi 28 janvier 2010

la soirée Wiggs par Club Sandwich



Deux nouveaux zygotos ont décidé de renouer avec l'ambiance des folles nuits des années 80, celles où Fabrice Eamer nous accueillait avec classe et gentillesse au Club 7, puis au Palace! Celles où Karl Lagerfeld ou Loulou de la Falaise organisaient des fêtes démentes. Celles où on avait des vrais looks et où ceux qui sortaient jusqu'au petit matin n'étaient pas tous des clones tristes. Celles de la grande libération gay, du disco, des Village People, de Diana Ross et autres Prince. Celles où on dansait toute la nuit, sur des rails.

Emmanuel d'Orazio et Marc Zaffuto lancent depuis quelque temps les soirées Club Sandwich. Désormais les plus belles fêtes de Paname. Et sans me vanter, je m'y connais. Quand ils ne sont pas les lundis chez Maxim's où ils reçoivent sous le nom de "Chez lui", ils envahissent l'espace Cardin pour des nuits démentes. On est dans un autre monde, une autre époque, entre Paris et New York. C'est décadent, c'est chaleureux, c'est délirant. On est prié de faire un effort question look. Pas besoin de se faire prier. C'est la folie. Le dress code pour ce soir: "great wiggs". Cheveux, mon neveu.


La queue ( de cheval) avenue Gabriel donne le ton. Perruques blanches, afro, punks… Il y en a de toutes les couleurs. Et il y en a beaucoup. Ils se sont surpassés les fous du look. Ils n'ont pas eu de poil dans la main. Ça promet d'être une réussite.

Je m'attends à un délire capillaire généralisé. J'ai donc opté pour le look Kojak. Crâne rasé, mais agrémenté d'un cerceau emplumé. C'est la fête, que diable! Accompagnée de Pierre-François Carasco qui m'a fait cette tête démente de "cantatrice chauve", je resquille sans états d'âme, en ex-habituée des nuits parisiennes et on s'engouffre illico dans l'Espace Cardin, là où se sont donnés en spectacle les divins Marlene Dietrich, Bob Wilson, Jeanne Moreau….


Tout de suite, on est happés par la musique et les lumières. Des lasers verts, jaunes, violets strient l'espace. Les noctambules se sont surpassés. Nos deux hôtes, Marc et Emmanuel, frères asymétriques black & white aux perruques mi-afro mi-géométriques sublimes nous accueillent. Le DJ est coiffé à la Marie-Antoinette avec un vaisseau argenté qui vogue sur sa perruque blanche pleine de vagues laquées. Cinq "filles", mini robes noires, colliers de perlouzes, petites chaussures noires, lunettes noires et cheveux au carré noir m'entourent. Celui des cinq "filles" qui a le plus de perlouzes et le col en vison m'explique le concept. C'est un groupe de Anna Wintour. Elles sont tordantes. Allumées, elles dansent ensemble, en prenant la pose, genre défilé de mode pété sur un podium.


Tout le monde est là. Cruella, d'enfer, Joséphine Baker avec sa ceinture de bananes, Blanca Li, François Bellet, Suzy Wiss merveilleux lutin pétillant de 70 ans que je croisais déjà au Club 7, puis au Palace….

Même Karl Lagerfeld est là. Enfin… son avatar.

Il y a aussi Pierre Cardin. Le vrai. Incroyable de l'apercevoir à une table regardant cette foule hallucinée/hallucinante. Impressionnant de voir cet homme qui en a tant vu, tant fait, dont le slogan pour sa collection homme était: "Des vestes avec lesquelles on peut dévisser un boulon de voiture, mais aussi aller au Windsor" regarder passer cette foule invraisemblable. Quelle curiosité infatigable le tient encore debout à deux heures du matin au milieu de cette foule extravagante?


Difficile de raconter une soirée. Comme au cinéma, c'est toujours parmi les scènes les plus difficiles à filmer. C'est souvent plat. Ça sent tout de suite le figurant qui se dandine dans une pièce sans musique pour que le preneur de son choppe bien les dialogues des rôles principaux. Pas facile de décrire une ambiance, des sensations. C'est que ça a souvent un côté irréel, ces fêtes. Une fois qu'on a raconté qu'on a bu et dansé, que dire? La folie des looks, la beauté des garçons, la musique?

La musique. Des reprises dèlirantes jouées par Loïc. Une reprise disco de "night & day", géniale. Je vous recommande John Davis and the Monster orchestra! Puis l'incroyable Jodie Harsh passe aux platines et fait péter la techno. Ça pulse grave.


De plus en plus de monde. Des perruques afro, en veux tu en voilà. De plus en plus grandes, inouïes. Des trouvailles, des créations.. La guitare électrique en cheveux, sur une longue chevelure noire de jais très rock. Du rouge, du bleu, du vert, du jaune, du très long, jusqu'aux pieds, du minimaliste, petite crotte de cheveux sur un crâne chauve, des chignons crêpés … On passe de Hair Spray à Fellini, du Palace au Studio 54….

Des "créatures", des garçons à la beauté provocante. Et puis des gens "normaux", pas lookés, ou alors qui se sont collés une pauvre momoutte merdique sur la tête. Tout est amusant. Tout "marche". Tout ça se mélange joyeusement. Un homme chauve et barbu passe, blouson de cuir, cuissardes sur collant lamé doré. Flash d'un Pierre Molinier moderne….


Et puis les flashs des photos. Tout le monde se photographie. Normal. Aujourd'hui tout le monde est photographe. En connaisseur, on interpelle celui qui passe avec sa coiffure en ballons, ou sa perruque en cartes à jouer pour le/se photographier. L'époque est narcissique. CQFD.

Ce sont les bars men qui débandent le moins. Comme toujours, des grappes de gens collés, attendent leur dose.

Ça commence à se lâcher. On passe du mèche à mèche au bouche à bouche. La fièvre monte.

L'heure de rentrer.

En repartant, un peu titubants, on passe devant les flics qui font le trottoir en veillant sur l'Elysée. Ce soir, c'est spectacle gratis! En un soir, ça compense un peu les nuits à battre le pavé en se les pelant et en s'emmerdant.


On croise un dernier invité crâne passé au cirage noir avec moustache peinte ad hoc, le merveilleux Ali Mahdavi, telle une poupée des années 30…. Sur la Place de la Concorde on a démonté la Grande Roue. Ne reste plus que le compas géant qui la soutenait, dernière vision d'art moderne de la nuit.

Fin de la séquence. Clap de fin.



MODE & VANITE


C'est la Fashion Week. Eh oui, c'est comme ça qu'on dit quand on "est" à la mode! On dit en anglais des mots qui se diraient tout aussi bien en français. C'est vrai, "la semaine de la mode", c'est tout à fait intelligible, et ça ne fait pas particulièrement plouc! Mais non. C'est bien la Fashion Week!

La mode fait bon ménage avec les vanités. (Définition de Wikipédia: Une vanité est une catégorie particulière de nature morte dont la composition allégorique suggère que l'existence terrestre est vide, vaine, la vie humaine précaire et de peu d'importance. Très répandu à l'époque baroque particulièrement en Hollande, ce thème de la vanité s'étend à des représentations picturales comprenant aussi des personnages vivants comme Les Ambassadeurs d’Holbein).

Aujourd'hui que le motif tête de mort est devenu aussi courant que celui de la marguerite ou du nounours, aujourd'hui qu'on a la très nette sensation d'avoir tout vu, tout bu, que la chair est triste et qu'on a lu tous les livres, Olivier Saillard, accompagné par la divine Violeta Sanchez nous donne une leçon de poésie, d'humour, et d'élégance. L'élégance est dans la pensée. E cosa mentale.


Nous sommes dans un des petits salons du théâtre de l'Odéon. Salle Roger Blin. Ce même Roger Blin qui a créé "En attendant Godot" il y a un demi siècle. Sous les dorures, deux grands portraits de femmes. Des actrices. A jardin, comme on dit au théâtre, Phédre, l'amoureuse tragique. A cour, Celimène, la frivole, et sur un des murs de côté, un portrait ovale de Racine. Rien que ça. Ça ne rigole pas.

Pas encore. Pour l'heure la crème du gratin de la mode s'embrasse, se hèle, se fait des signes entendus. On en est. On y est. A l'événement le plus chic de cette fameuse Fashion Week.

Le spectacle, car c'en est un, que vont nous donner à voir Violeta Sanchez, mannequin au physique unique, toute anguleuse, au nez tellement particulier, sublime, plus classe tu meurs, qu'à côté d'elle Claudia Schiffer ressemble à une crémière, et Olivier Saillard, l'éminence grise du Musée des Arts Déco relève un peu de l'absurde beckettien. Si ce n'est que dans les textes de Saillard, il y a une malice, une tendresse, un culot juste ce qu'il faut jubilatoires.


Le carton annonçait "Vêtements de rien". C'est tout.

Sur scène, deux grands sacs en toile blanche. L'on comprendra vite qu'il y en a un qui est plein, et dont le contenu remplira progressivement l'autre, au fur et à mesure que les vêtements en seront tirés, montrés, décrits, puis rangés à nouveau avec délicatesse.

Que font donc Olivier et Violeta? Ils nous montrent des vêtements. Pas n'importe lesquels. Ce sont des vêtements qui ont vécu. Qui ont des heures de vol. Des vêtements avec des pièces, des trous, des rajouts. Les pièces, les raccommodages ne sont pas discrets. Ils SONT le vêtement. Des vêtements qui ont été chinés, puis collectionnés par des passionnées, comme Françoise Dupas, Alexandra et Emilie Sénes.

Les textes, dits soit par elle, soit par lui, sont des bijoux de drôlerie. Olivier, en poétisant ces vêtements de travail littéralement usés jusqu'à a corde, taille un costard à la mode. "surproduction de la mode", "libéré de toute question de représentation", "motif en trompe l'oeil de toison pubienne", "pattes d'aisance sodomites", "bord côte qui n'est pas d'azur", "broderie pied de nez à Mr Lesage", "point zig zag après pastis", "bas relief du quotidien", "subclaquant", j'en passe et des meilleures.

On aimerait noter toutes les phrases tellement les trouvailles sont merveilleuses.

Violeta vêtue d'une blouse noire, comme ces marionnettistes japonais dont elle a les gestes précis et délicats, déplie, montre, applique les vêtements sur elle, prenant des poses haute couture sophistiquées. C'est étonnant, drôle, absurde, émouvant.


Dans la salle, Clara Saint, celle qui a permis à Noureev de faire le grand saut vers l'Occident et qui a fait partie du noyeau dur de "la bande Saint Laurent", en plus d'être son attachée de presse, Poppy Moreni, Emmanuelle Khan, la grande photographe Dominique Issermann, les rédactrices en chef de Elle et consoeurs, Eric Bergère. Que du beau linge. Pour un happening de mode, c'est la moindre des choses. Au premier rang, entre Françoise Lacroix et Chantal Thomass, je me régale. La Lacroix me glisse de temps en temps avec gourmandise " Je veux cette culotte", ou "Tu serais mignonne là dedans"! Elizabeth Quin dont le livre sur les vanités est une merveille d'intelligence, de beauté, d'humour dans une mise en page parfaite est assise sur le rebord de la fenêtre à côté de l'éditeur José Alvarez et se bidonne en prenant des notes. Même les photographes se marrent. Ce qui est rare. En général ils appuient sur le bouton, laissent le petit oiseau sortir et engrangent une énième pose de mannequin glacé qui finira sur du papier qui ne l'est pas moins.


C'est que l'ennui est souvent de mise dans les défilés. A raison de deux saisons par an où elles se goinfrent chaque fois des dizaines de défilés, la plus endurcie des rédactrices de mode finit par être blasée devant toutes ces jupes, ces pantalons, ces robes, ces manteaux, qu'ils soient romantiques ou punks, déstructurés ou classiques, japonais ou italiens, en maille ou en mousseline. La mode, comme le reste ne peut se renouveler et se réinventer que jusqu'à un certain point. De non retour. Que l'on a déjà atteint.

Devant ces vêtements qui ont vécu ("mais de quelle vie ça vient?" remarque avec tendresse Violeta), devant ce manteau dont il ne reste quasiment que des trous et qui, par le regard intelligent et subtil d'Olivier devient plus chic qu'un manteau de Yoji Yamamoto, devant ce bleu de travail fait de dizaines de pièces, devant ces T shifts pâles rapiécés de couleurs vives, l'on reste rêveur. Ce qui est devenu rare dans les défilés. Ça change du clinquant, de tous ces couturiers qui ont érigé leur logo en motif jusqu'à l'écoeurement.


Ce miroir poétique qui est tendu au monde frivole et tout puissant de la mode fait du bien. Assise à côté de Françoise Lacroix, je ne peux m'empêcher de penser à quel point c'est scandaleux qu'un des plus grands artistes de ce métier, Christian Lacroix ait du fermer boutique, laissant la place à la vulgarité, au mercantilisme, au tape à l'oeil et à la bêtise ambiantes.


Avec ce happening, Olivier Saillard nous rappelle qu'un vêtement ça vit, ça se transforme, ça évolue avec nous. Que nous ne sommes pas des cintres, mais des personnes. Que l'émotion est la première valeur.

Et que tout n'est que vanité. Surtout la mode. N'est ce pas Elisabeth Quin?


vendredi 22 janvier 2010

Jean Paul Gaultier môssieur


Sur les photos publicitaires pour "Le mâle", son parfum pour hommes, deux marins, épaules tatoo, font un bras de fer dans leur éternel pull marin. "Les marins sont bien plus marrants que tous les forains réunis" . Très Jacques Demy, indeed. Aujourd'hui, les beaux marins se sont lâché la main et passent aux choses sérieuses. Ils ont enfilé des gants de boxe, et on est d'avantage dans les larmes salées de Martin Scorcese, époque "Raging bull" que dans les couleurs sucrées du Jacquot de Nantes.


Rien qu'à voir le magnifique carton, on avait pigé l'ambiance. Ça allait bastonner. Il allait y avoir distribution de châtaignes à l'oeil. Le carton d'invitation , genre fac similé d'affiche de boxe des années 50, jaune, rouge et noir, avec une belle grosse typo et des mecs en boxeurs. Au propre comme au figuré.

Dans la salle du défilé, les photographes se bousculent, les acheteurs et les journalistes papotent. On remarque quelques invités de marque, comme toujours. Le frêle et charmant Slimmy, coiffé d'un haut de forme de guingois, petit Prince Mister Magoo, tout content d'être là. Un peu plus loin, le moins frêle et moins charmant Chris Brown, le cogneur de ces dames. Effectivement, ça sentait la castagne.

Au milieu de la pièce, un vrai ring de boxe. En même temps que la lumière baisse, la bande son monte. Se superposant au léger brouhaha de la foule cool qui attend le défilé de mode, la bande son superpose une ambiance d'une autre foule, beaucoup moins chic, qui attend le combat de boxe. Le ton est donné. On est au cinoche. Va y avoir du spectacle!


Le rideau s'ouvre sur quelques mecs en short, qui tapant dans un sac de sable, qui dans un punching-ball, qui sautant à la corde (les Twins, deux frangins danseurs qui ont la grâce). Les coulisses de l'exploit, avec en toile de fond, sur un grand écran, quelques images noir et blanc d'un homme en peignoir seul sur une plage. On pense à "Raging bull". Encore. Deux filles en boxeur et gants assortis surgissent des coulisses accompagnées d'un arbitre, l'indéfectible et indispensable Tanel.

Gong. Sur le ring, le match des gonzesses commence. Les mecs déboulent. Le choc. D'abord, leurs belles gueules. Qui ont du en recevoir des coups, vu les lèvres explosées, les plaies et blessures, les sparadraps sur les arcades sourcilières*. C'est beau, un mec qui sait donner et prendre des coups. Surtout au cinéma. Dans la vraie vie, c'est plutôt dégueulasse. "C'est quoi dégueulasse?" demandait Jean Seberg dans le chef d'oeuvre de JLG en petit pull marin, à l'époque où ceux-ci n'évoquaient pas encore irrésistiblement Gauthier. Tu veux que j'te dise Chris? Taper sur sa femme, c'est dégueulasse. Je sais, ça jette un froid. Surtout quand t'es sa femme.


Mais ici, on n'est pas dans la vraie vie. On est chez Gaultier. Et lui, les femmes, il les aime. De toute évidence, les mecs aussi. Ici, c'est sublime. Les types qui défilent sont à tomber, les fringues sont magnifiques, la bande son de Goran Vejvoda est parfaite. Mélange de techno avec des loops d'Edith Piaf, la môme à Cerdan "Laissez le moi encore un peu mon amoureux".

Pour accessoiriser les tenues, en plus des gnons, des gants de boxe. Des noirs, des rouges, des blancs. Et toujours avec l'humour de Gaultier, le détail qui tue. Un mastard tout de noir vêtu, très chic, avec gants de boxe argentés serrant une petite pochette en cuir noir. Mélange de virilité brut et de la féminité bourge la plus nunuche.


Sur certains smokings, des serviettes éponge autour du cou, piquées de grosses broches en strass.

Réminiscence des costumes du dernier show de Mylène Farmer, les T shirts imprimés "écorché", bleus, verts, rouges, ocre.

Dans la bande son, on entend Cassius Clay dans un délire mégalo. "I am the greatest!"

Ce soir, c'est Môssieur Gaultier Ze Greatest! D'ailleurs le voilà qui vient saluer en peignoir éponge noir, lui aussi maquillé gueule explosée et sparadrap ad hoc! Bravo Jean Paul! C'est toi le champion toutes catégories. Le show est chic, classe, malin. Le spectacle est impeccable. Vainqueur par KO. Dans tes pulls marins, t'es pas à bout de souffle, JPG! T'es Champion of the world au boxe office de la mode. Haut la main!


*maquillages et effets spéciaux Florence Depestele

lundi 18 janvier 2010

Gainsbourg et les poulets


C'est curieux les tours que joue la postérité. De leur vivant, Gainsbourg, comme Coluche et Desproges étaient tout sauf consensuels. Subversifs, iconoclastes, décapants, provocateurs, gonflés, destroys, trashs, border line. Voire vulgaires. Coluche aurait dit, en levant son index "grossier, jamais vulgaire". Pourtant, ses blagues sur les femmes, les arabes, les pédés et les juifs n'étaient pas toujours du meilleur goût. Gainsbourg, version Gainsbarre pouvait être sacrément mufle (cf les épisodes avec Catherine Ringer et Whitney Huston). Et Desproges n'avait peur de rien. Ni des juifs ni de la mort. Aujourd'hui, il est probable qu'ils seraient plus souvent en procès qu'en promo. "La mort nous rend bien littéraires" écrivait Jules Renard. Elle nous rend aussi bien inoffensifs. Mais c'est la mort qui t'a assassiné, Marcia" chantait Catherine Ringer. D'artistes controversés qui choquent le populo, la camarde fait des icônes consensuelles. Elle gomme, elle lisse les aspérités. La mort m'a tuer! C'est la mort, mais aussi l'humanité qui a cette capacité extraordinaire à digérer, absorber et finalement récupérer tout. Les auteurs ou artistes qui continuent à être subversifs après leur mort se comptent sur les doigts de la main de Django Reinhard pour paraphraser Gainsbourg. Sade. Pasolini. Qui d'autre?

Aujourd'hui, qui oserait dire qu'il n'aime pas ces trois immenses artistes. Personne. Aux oubliettes les excès. A la trappe les dérapages. Enterrées les provocations. Des saints. A côté, Les petits chanteurs à la croix de bois, c'est les Rolling Stones! On sait que Gainsbourg, génie du paradoxe et amoureux de la transgression, collectionnait les médailles et les décorations avant de reprendre avec génie "la Marseillaise" version reggae. On sait que l'homme à la tête de chou hélait les "paniers à salade" comme d'autres hèlent un taxi. On sait qu'il était pote avec les flics du quartier. Le VIème arrondissement.

Il y a quelques années, un souci personnel m'a conduit au commissariat du VIème arrondissement, place Saint-Sulpice. J'étais dans une situation assez angoissante et cherchais à ce que la police m'aide, voire me protège. Les flics, c'est des gens qui regardent la télé et écoutent la radio comme les autres. Donc, comme tout le monde, ils m'ont reconnue et m'ont instantanément chanté "c'est la ouate". OK. Pas de problème. J'ai l'habitude. C'est un karma. Instantané, comme auraient dit John Lennon et Yoko Ono.

Là où c'est devenu surréaliste, c'est quand, au lieu de prendre ma déposition, ils m'ont prise par la menotte pour me faire visiter le commissariat afin de me montrer la belle photo avec leur copain, feu Serge G.

C'est le syndrome "chauffeur de taxi". Quand on a une tête connue, il n'est pas rare que le chauffeur de taxi se lance dans l'énumération des autres vedettes qu'il a eu l'insigne honneur de véhiculer. Et tout ça, sans anecdote particulière liée à la célébrité ainsi transbahutée. C'est leur nom, aux gens connus qu'ils aiment bien dire, les chauffeurs de taxi. "Incroyable que je tombe sur vous! Figurez vous que pas plus tard que la semaine dernière j'ai eu Edouard Baer!" Ahhhhhhhh! C'est intéressant. "Et il y a deux mois, Jean d' Ormesson!" Pas possible? "Et aujourd'hui vous! C'est dingue, non?" Oui. C'est dingue. Il n'y a pas d'autre mot.

Eh bien les flics, ça leur a fait pareil quand ils m'ont vu débouler au commissariat avec mon problème. Une chanteuse de variété! Chouette! Ça leur rappelait le bon vieux temps avec leur copain nu-pieds dans ses Repettos.

"Vous savez que Serge Gainsbourg venait souvent boire des coups?" Ahhhhhhhh! "Qu'est ce qu'il était gentil" Oui. je sais.

"Vous l'avez rencontré?" Un peu….

Elle était trop contente, la maison poulaga de parler avec une autre vedette de la chanson et de me faire partager tous ces chouettes souvenirs avec leur poteau Gainsbourg. Moi aussi je l'aimais l'auteur de "la javanaise" et les occasions pour dire à quel point il a compté dans ma vie d'artiste et m'a inspiré comme auteur de chansons sont toujours bonnes à prendre. Mais je n'étais pas là pour faire de la promo. J'étais là parce que j'étais en danger. Ça ne les a pas intéressés, les keufs! Mais alors, pas du tout!

Ils m'ont fait visiter leur beau commissariat du VIème. Ils m'ont montré le grand tirage photo encadré qui trônait au dessus de l'escalier. Celui de la brigade qui posait avec Serge G avec un gros animal en peluche, genre fête foraine. Aux anges, qu'ils étaient, les condés. Sur un petit nuage, la flicaille. Juste à côté du fumeur de gitanes.

Une fois qu'ils m'avaient fait faire le tour du propriétaire et de leurs histoires sur Gainsbourg "you're under arrest, cause you're the best", ils ont fini par me renvoyer avec mon problème qui ne les intéressait pas, mais alors pas du tout dans un autre commissariat. Dans mon dos, ils se sont remis à chanter "c'est la ouate". Un karma, j'vous dis!

Heureusement, leurs collègues, ils étaient moins branché "tubes". Ça m'a fait des vacances.


"Les manuscrits de Gainsbourg" édités par Laurent Balandras chez Textuelle


samedi 16 janvier 2010

Gainsbourg et les poupées



Ça y'est! Le film sur notre Gainsbourg national va enfin sortir! Et nous, les enfants de Gainsbourg, on a hâte de se reprendre un petit shoot de notre Maître. Gainsbourg magique, génial, paradoxal, émouvant, subversif, fascinant. On a tous en nous quelque chose de Serge Gainsbourg.

C'est donc pour moi l'occasion de partager avec vous un souvenir personnel avec le beau Serge. La beauté des laids, des laids des laids, se voir sans délai délai…

Au tout début des années 80, autant dire dans une vie antérieure, j'ai été styliste photo. J'ai même eu la chance de travailler quelque temps avec Mondino. Episode qui m'a marqué et m'a servi des années plus tard quand je me suis découverte avec bonheur metteuse en scène. Gainsbourg préparant son livre "Bambou et les poupées" fait appel à moi. L'émotion en arrivant rue de Verneuil. L'atmosphère incroyable de l'appartement noir avec le tirage géant de la photo de Bardot, le buste moulé de Jane B, la partition de "La marseillaise" sur un pupitre, un écorché grandeur nature…. Et lui. Adorable. Timide. Un écorché, lui aussi. Charme fou. Me proposant un bull shot à dix heures du mat'! La mission? Lui trouver un petit lit en fer forgé et des poupées. Ni de cire, ni de son. Gonflables. Pour un livre de photos qu'il préparait avec Bambou.

Pas de problème. Le lit en fer forgé, c'était du gâteau. Quand aux poupées gonflables…. J'avais bien fait venir un costume de King Kong de Londres pour Mondino! Ça ne devrait pas être bien sorcier…

Pas dégonflée, me voilà donc partie pour la rue Saint Denis avec mon appareil Polaroïd pour faire mon casting de poupées en plastoc. La tête des vendeurs des sex shops quand je leur demandais si je pouvais faire un pola! En insistant un peu, ils étaient d'accord. Le hic, c'est que les fameuses poupées gonflables, elles n'étaient pas gonflées. Elles étaient sagement pliées dans leur boite, avec juste la tête apparente. Et il y a peu de choses aussi déprimantes qu'une tête de poupée gonflable! Elle a des grands yeux en plastique, forcément, avec un gros trait d'eye-liner, et la bouche ouverte. Ben oui. Des trois que les Dieux t'ont donné, Je décide dans le moins lisse de m'abandonner. (love on the beat)… Ceux qui achètent ce genre d'objet aussi, à mon avis, c'est cet orifice là qu'ils choisissent.

Ils ont du mérite. Plus débandant qu'une poupée gonflable, je ne vois pas. Le plastique est cheap, le plastique, c'est pas fantastique, le corps est sommaire, la tête est immonde… Et surtout l'idée est navrante. Enfin… Si ils arrivent à prendre leur pied comme ça… C'est toujours moins pire que d'aller se faire une gamine de l'Est de 16 ans complètement défoncée sur les boulevards extérieurs!

Mais je m'égare…

Me voilà donc en train de faire des polas de ces têtes bouche ouverte - yeux vides coincées dans leur boite pour les montrer à Gainsbarre, avec à côté le vendeur qui se dit qu'il a déjà vu des pervers, mais que là, c'est le pompon!

Inutile de vous dire que c'est Gainsbourg qui en a fait une drôle, de tête, en voyant le niveau de la laideur de l'objet. Consterné, qu'il était. Autant dire que ça n'allait pas. Il allait falloir que je me décarcasse pour lui trouver un peu mieux que ça!

Me voilà donc repartie direction rue Saint Denis. Dans les années 80, pas d'internet. Fallait y aller, marcher, se rancarder. Enfin, un vrai boulot, quoi! Le mien, à l'époque.

A force de chercher, je la trouve, la perle rare. Une poupée non pas gonflable, mais moulée, et dans une matière un peu moins atroce que ses consoeurs du plastique. Pas besoin de souffler dedans pour qu'elle se déplie. Ils l'avaient même affublée d'un prénom, genre Simone, avec une mini biographie.

Je décris la donzelle à Gainsbourg. Rendez vous est pris pour aller la voir chez le marchand et en passer commande, si elle tient ses promesses en vrai, la Simone.

9 heures du mat' j'ai des frissons… on se choppe un taxi rue de Verneuil pour monter jusqu'à Pigalle, la mecque du cul.

Banco. C'est le coup de foudre. Il en commande une demi douzaine.

Le jour J, studio photo, le lit en fer, les poupées, Bambou… tout est prêt pour le shooting. Il me met gentiment dehors. Il n'a plus besoin de moi.

Les photos et le livre sont très beaux. Il omet de me citer. Pas grave.

Il y a quelques années, Laurent Balandras avec lequel je travaille, a publié "Les manuscrits de Gainsbourg"* annotés et commentés. En dépouillant les archives de Serge, il est tombé sur la page du carnet Hermés sur lequel celui ci avait griffonné mon nom et mon # de téléphone pour le stylisme de "Bambou et les poupées". C'était émouvant de voir ça.

Je finirais cette évocation avec une phrase magnifique, qui clôt le livre des Manuscrits: "Dans la vie, on est tous des bleus".

C'est beau, non?


* "Les manuscrits de Gainsbourg" aux éditions Textuelle 2006


mercredi 13 janvier 2010

Kurt Gerron


Par delà le bien et le mal


En ce moment dans Paris, des affiches pour le Cabaret Terezin tapissent le métro. Elles me rappellent un documentaire que j'ai vu sur Arte il y a quelques années sur Kurt Gerron. Cet artiste juif allemand, star du cabaret berlinois dans les années 20 qui finit à Terezin, où il crée son Cabaret puis tourne un film qui vante « les bienfaits des camps de concentration » (sic ) avant de lui même mourir gazé à Auschwitz dans les derniers mois de la guerre. Cette vie contrastée et violente posait beaucoup de questions. Comment peut-on être un juif persécuté, et être du côté d’Hitler et de ses bourreaux ? Un monstre, Kurt Gerron ? Sans doute. Mais un monstre de quoi ?

Kurt Gerron est un des personnages marquants du Cabaret berlinois alors à son apogée. Imposant acteur juif allemand au physique ingrat, gros et plutôt antipathique, il est connu non seulement pour ses numéros grinçants et ses chansons insolentes, mais aussi pour avoir créé Mack the Knife dans l’«Opéra de quat’sous » de Kurt Weill et Brecht, pour avoir joué avec Marlene Dietrich dans « L’Ange bleu » de Sternberg, et dans « Le journal d’une fille perdue » de Pabst aux côtés de la divine Louise Brooks. Non content de prêter sa tronche et sa corpulence à ces personnages veules, il réalise des films, et tourne même en France, « Incognito » sur la Riviera en 1933 avec Pierre Brasseur et Renée Saint Cyr. Un fou de travail. Son œuvre, c’est sa vie. Hitler et les nazis arrivent au pouvoir, les acteurs juifs allemands sont interdits d’espace public, le Cabaret, haut lieu de débauches sexuelles et de contestation communiste, est, en quelques années, réduit en cendres. Celles de ses acteurs, directeurs, décorateurs, musiciens et fantaisistes, qui finissent dans les fours de Dachau et d’Auschwitz, après être parfois passés par Térézin. Un camp de concentration où les nazis parquent l’intelligentsia juive d’Europe de l’Est, avant de les exterminer à Auschwitz. Kurt Gerron essaye de rester à Berlin jusqu’au bout, refusant le billet que Marlene et Peter Lorre, déjà réfugiés à Hollywood, lui envoient, sous prétexte qu’il ne voyage qu’en première, puis se réfugie en Hollande, avec de nombreux camarades du Cabaret, avant que les nazis l’arrêtent et le déportent finalement à Terezin.

Quand il arrive, il y est fêté et reconnu comme l’artiste populaire et aimé qu’il est. Imaginons Fernandel débarquant, et l’on aura une idée de l’enthousiasme que suscite son arrivée. A Terezin, la vie est atroce, sept mille personnes essayant de survivre dans un état de misère et de malnutrition indescriptibles. Mais les enfants vont aux cours que leur donnent les professeurs, les musiciens se fabriquent des instruments et certains répètent pendant des mois le Requiem de Verdi*, juste avant d’être envoyés dans les chambres à gaz. Il y a même un Cabaret, le Karroussel. Celui de Gerron. Fait avec les planches de la synagogue du village voisin que les allemands ont détruite ; on y rit tous les jours. Aux larmes. Des larmes devant ces artistes géniaux, les plus grands artistes de cabaret ayant jamais existé. Des larmes de savoir la mort proche, peut-être pour le lendemain. Des larmes de voir le sacré servir de décor aux blagues crues et parfois salaces. Le fameux humour juif donnait là toute sa mesure et sa dimension tragique. Dans cet univers où les vivants ne le sont plus pour longtemps, où le désespoir côtoie l’héroïsme, où la vie continue malgré l’horreur, les humiliations et le déni d’humanité, Kurt Gerron est le roi de la fête. Pour lui, survivre, ça n’est pas seulement manger. C’est aussi, et peut être surtout, faire son métier de clown, se faire applaudir, faire rire, organiser ces spectacles qui réunissent les bourreaux et les victimes: les allemands friands de musique et de rigolade et les juifs persécutés au bord du gouffre.

Après le passage "réussi" de Maurice Rossel** de la Croix Rouge à Terezin, Hitler décide de faire réaliser un film de propagande sur les camps, qui montre ceux-ci comme des lieux de vacances avec des prisonniers heureux et trop chanceux. C'est à Kurt Gerron qu'on confie la réalisation de « Hitler donne une ville aux juifs », un concentré de cynisme. Les enfants auxquels on donne des tartines les dévorent bien avant le clap de départ, on doit assouvir leur faim avant de pouvoir les montrer souriants face caméra et Kurt Gerron fait le pitre hors champ pour les faire rire et donner cette (fausse) image de bonheur. Il réalise ces images lumineuses pleines d’enfants joyeux, de soleil et de campagne alors que le III ème Reich agonise. Chacune des personnes filmée est emmenée le lendemain à Auschwitz pour y être assassinée. Comme Kurt Gerron lui-même peu de temps avant la fin de la guerre. Ce film impossible reste inachevé.

L'histoire de ce personnage m'a fascinée. Evidemment, c'est le portrait d'un monstre. Mais c'est surtout le portrait d'un artiste. Comment un artiste juif peut-il aller si loin dans la collaboration? Comment peut il aller jusqu'à mettre en scène un tel mensonge? J'ai pensé à Mephisto de Klaus Mann, lui aussi capable des plus viles collaborations pour continuer à "faire l'artiste".

Kurt Gerron est monstrueux parce qu’il voulait, il devait créer quoi qu’il arrive. A n’importe quel prix. Même celui de sa dignité. Parce que l’art quoi qu'on en pense, existe par delà le bien et le mal. Parce que ça n'est pas avec des grandes idées qu'on fait des grandes oeuvres. Parce que quand on est artiste, créer est un besoin vital. Existentiel. Et la pire chose qu'on puisse faire à un artiste c'est l'empêcher de créer. Son art c'était le Cabaret? Jusqu'au bout, il serait le Roi du Cabaret. Le monde pouvait bien s'écrouler autour de lui.



*"Le Requiem de Terezin" de Josef Bor

** "Un vivant qui passe" de Claude Lanzmann


samedi 9 janvier 2010

Jean-Jacques Schuhl Jean Eustache et Moi!


« La mémoire, ça sert à oublier ». Certes. Mais pas que. Dieu merci. En bonne perecquienne, je me souviens. Pas de tout, heureusement. Je mourrais de honte. La décennie qui a suivi les années 70 a été « trash ». Mais de beaucoup de choses. Quelques années avant ces fameuses années 80 dont on ne cesse de me rebattre les oreilles et auxquelles on ne se lasse pas de m’identifier, j’avais déjà une vie, et bien remplie. En plus d’aller danser presque tous les soirs au club 7, puis au Palace ou aux Bains Douches, je passais des soirées à la Closerie des Lilas, à la Coupole puis au Rosebud à écouter des hommes parler des femmes. Aujourd’hui, 4ème jour de la 2ème décade du 3ème millénaire (ça ne rigole pas !) je me souviens de la bande des 4. Pas de la femme et des amis de Mao, Jiang Qing et ses copains Zhang Chunqiao, Yao Wenyuan et Wang Hongwen. (On est ancienne « mao » ou on ne l’est pas ) Non, de Jean Eustache, Jean-Jacques Schuhl, Jean-Noël Picq et « le beau George ». Dans le # de fin d’année des Inrocks, je lis un grand portrait de Jean-Jacques Schuhl. Il raconte qu’il aimait se taire ou ne rien dire d’intelligent avec Jean Eustache. Effectivement, ça n’était pas le plus volubile des quatre. J’étais bien jeune il est vrai, au début des années 70, mais je me souviens des joutes verbales entre ces mecs. Jean-Noël Picq, psychanalyste, celui que ses clients payaient pour qu’il les écoute, parlait beaucoup. Et brillamment. Le souvenir que j’ai de ces dandys spirituels (pléonasme ?) est qu’ils aimaient et maniaient le paradoxe avec jubilation. Une des histoires préférées d’Eustache était celle que racontait Picq, sur les toilettes de femmes d’un café où les hommes pouvaient voir le sexe des filles en se mettant à quatre pattes devant un trou dans le bas du mur mitoyen. Les yeux en face des trous. Picq la racontait, la re racontait, et Eustache ne s’en lassait pas, jubilant à chaque nouveau détail. C’est, évidemment, devenu le film « Une sale histoire ». Une histoire troublante pour la jeune fille que j’étais. Il y était question de beauté, de laideurs paradoxales, intimes. J’y apprenais que les plus belles n’étaient pas celles que l’on croyait. Les plus laides non plus. La version féminine de « la beauté des laids, des laids…. se voit sans délai, délai » de Gainsbourg ?

Mais ce qui me frappe surtout aujourd’hui, c’est le simple fait de ma présence à ces soirées arrosées, ces nuits blanches, dostoïevskiennes et un peu décadentes.

Je n’étais évidemment pas la seule femme admise dans ce cercle restreint, mais les autres femmes étaient en général les maîtresses de l’un ou de l’autre. Parfois même de l’un, puis de l’autre. Ce qui n’était pas mon cas…

Oui. Je me souviens qu’on faisait la fermeture de la Closerie, qu’on se « finissait » au Rosebud, qu’on faisait l’ouverture du Mahieu, le premier café ouvert, en face du Luxembourg, pour ceux qui avaient passé la nuit à parler et à piccoler. Et que c’est grâce à cette amitié avec Jean Eustache que mon petit frère Martin s’est retrouvé à jouer le rôle principal dans « Mes petites amoureuses », son beau film où des adolescents parlent de filles et de cinéma…..

Enfant déjà, Jean Eustache ne pensait qu’à ce qui se passe « sous les jupes des filles » comme l’a écrit si joliment Alain Souchon.

Le retour de Jean-Jacques Schuhl fait plaisir. C’est agréable ces bouffées de souvenirs qui remontent….

Evidemment, Jean-Jacques et moi n’avons pas vécu la même histoire, bien que nous ayons partagé tellement de moments ensemble. Ma perception de la vie était bien novice devant celle de ces messieurs. Et pourtant. Si le Mahieu d’existe plus, remplacé par un de ces immondes Mac Dos qui polluent le monde, le souvenir que j’en ai, et celui de mes premières années « dans le monde » est bien vivace.


mardi 5 janvier 2010

ECRIRE DIT ELLE


Pourquoi commencer par publier un texte de Dorothy Parker ?

Parce que je voulais publier quelque chose vite. Même si je n’avais pas le temps d’écrire.

Parce qu’elle m’accompagne depuis longtemps. Parce qu’elle fait partie de ma « famille ». Comme Tallulah Bankhead, (avec laquelle elle était copine de cuites), comme Marlene Dietrich, comme Fanny Brice, Sophie Tucker, Arletty, Bette Midler, Yvette Guilbert…

Toutes ces femmes intelligentes, spirituelles, border line, explosant le cadre défini par les normes sociales, gonflées, ambivalentes….

Dorothy Parker est un grand écrivain. Pour mes chers lecteurs qui ne sont pas anglophones, j’ai une mauvaise nouvelle. En traduction, elle ne passe pas la rampe ! C’est en VO qu’elle donne la mesure de son talent. La précision des mots, sa cruauté subtile, ses phrases ciselées dont on entend les intonations new yorkaises…. Ça ne ressemble plus à grand chose en français !

Si Dorothy Parker était férocement spirituelle à l’écrit, elle l’était aussi à l’oral.

Connue pour avoir été la femme la plus drôle de New York dans les années 30, elle était capable de tuer père et mère pour un bon mot.

Son regard aigu lui faisait passer au rayon X les rapports humains sans complaisance. Fondamentalement désespérée, tragiquement drôle, elle balançait

« What fresh hell is this ? » quand le téléphone sonnait, tant il est vrai que chaque nouvelle aventure comporte déjà en germe son enfer, et chaque amour, ses souffrances.

Dorothy Parker qui a écrit le scénario d’un des chefs d’œuvre du cinéma, la première version de« A star is born », fable cruelle sur le succès qui foudroie (nothing I would know about, darling !), Dorothy Parker qui a fondé Vanity Fair, qui reste le magazine le plus chic du monde, Dorothy Parker qui a créé le syndicat des auteurs à Los Angeles dans les années 30, Dorothy Parker qui a défendu la cause des noirs américains à la même époque, Dorothy Parker qui a subi le maccarthysme, et s’est retrouvée sur liste noire, Dorothy Parker qui a épousé deux fois le même homme, Alan Campbell, Dorothy Parker dont les bons mots ont enchanté le « Vicious Cercle » qui se retrouvait à l’Algonquin, New York.

Dorothy Parker, qui a légué son œuvre à une association qui défend les droits des noirs américains.

Dorothy Parker qui a écrit sa propre épitaphe (un de ses passe-temps favoris) « excuse my dust » « pardon pour ma poussière » (quand je vous disais que ça sonnait moins bien en français !)

Dorothy Parker, ma frangine, qui m’a inspiré la mienne d’épitaphe : « Un grand pas pour moi, un petit pour l’humanité ».

Mais je mets la charrue avant les bœufs!

Ce soir, c’est juste la fin… de ma phrase ! Et de mon petit texte…

vendredi 1 janvier 2010

Dorothy par coeur...


Ballade of Unfortunate Mammals

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Love is sharper  than stones or sticks;

Lone as the sea, and deeper blue;

Loud in the night as a clock that ticks;

Longer-lived than the Wandering Jew.

Show me a love was done and through,

Tell me a kiss escaped its debt!

Son, to your death you'll pay your due-

Women and elephants never forget.

 

Ever a man, alas, would mix,

Ever a man, heigh-ho, must woo;

So he's left in the world-old fix,

Thus is furthered the sale of rue.

Son, your chances are thin and few-

Won't you ponder, before you're set?

Shoot if you must, but hold in view

Women and elephants never forget.

 

Down from Caesar past Joynson-Hicks

Echoes the warning, ever new:

Though they're trained to amusing tricks,

Gentler, they, than the pigeon's coo,

Careful, son, of the curs'ed two-

Either one is a dangerous pet;

Natural history proves it true-

Women and elephants never forget.

 

L'ENVOI

 

Prince, a precept I'd leave for you,

Coined in Eden, existing yet:

Skirt the parlor, and shun the zoo-

Women and elephants never forget

 

 

 

 

 

 

Wilkommen bienvenue, welcome!!!

Et une première image!
Masquée, pour prendre la plume... mais le masque est un miroir:)
vous y reconnaîtrez vous?

1er janvier 2010!

Pour commencer cette nouvelle année, envie de me coltiner à un nouvel exercice: le blog!
Quand j'écrivais des chroniques quotidiennes pour radio Nova, il y a quelques années, j'avais trouvé  le challenge excitant. Et étonnamment productif. 
Depuis quelque temps, je fais des passages amicaux sur le blog de mon camarade David Genzel.
Là, j'ai envie de voir si je suis encore capable d'écrire quotidiennement.
Allez, je me lance!
Et hop! Et plouf! Une nouvelle bouteille à la mer des internautes:)
Qui m'aime me suive!