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jeudi 27 février 2014

George Sand, mauvais genre



Longtemps, Marcel Proust s'est couché de bonne heure après que sa mère lui ait lu quelques pages de La petite Fadette ou de François le Champi. Quelques décennies plus tard il décrirait par le menu les affres de Swann, amoureux d'une femme qui n'était pas son genre. 
On y est! Le genre….
George Sand, qui passa une bonne partie de sa vie dans des vêtements d'homme, bien avant que Coco Chanel, puis Yves Saint Laurent ne libèrent les femmes, qui du corset, qui de la petite robe noire, n'était pas vraiment le genre de son époque. En ces temps-là, les femmes s'évanouissaient beaucoup; pas parce qu'elles étaient trop sensibles, mais bien parce qu'elles étouffaient littéralement dans ces corsets qui les emprisonnaient et les entravaient, véritables prisons de tissu qui ne manquent pas de nous en rappeler d'autres, les niqabs et autres burquas*.
Mis à part quelques spécialistes éclairés et/ou féministes curieuses, que sait-on de Sand? On sait qu'elle s'habillait en homme, qu'elle a écrit des livres et qu'elle a vécu des histoires d'amour célèbres avec de grands artistes qui ont défrayé la chronique. Que l'un s'appelait Musset, et l'autre Chopin. Une fois qu'on a dit ça qu'a t-on dit d'elle? Pas grand chose. Certainement pas l'essentiel.
On oublie que s'habiller en pantalon pour une femme était absolument unique au XIXème siècle*. Il a fallu des circonstances très particulières pour qu'Aurore Amantine Dudevant, qui choisirait plus tard de s'appeler George afin de ne pas être considérée avec condescendance comme "une femme qui écrit", mais comme un écrivain à part entière, délaisse ses jupons, puis son mari pour se consacrer à l'écriture et à ses diverses passions. Comment en est-elle arrivée là? Elle a eu la chance que son père meure d'un accident de cheval quand elle avait quatre ans! Evidemment, perdre son papa a du être une bien grande douleur, mais elle en a gagné une place totalement à part dans notre histoire, et son rayonnement a été tel qu'elle a même influencé Dostoïevsky (les russes l'appelaient avec admiration "la prophétesse") et Walt Whitman, l'un des pères de la poésie américaine. Petite fille déjà, on l'a habillée en costume de hussard pour la présenter à Murat, puis c'est sa grand-mère paternelle qui l'a accueillie à Nohant et lui a donné comme précepteur celui qui avait élevé ce fils qu'elle venait de perdre. Que sa grand-mère, sans doute déchirée de chagrin, fasse régulièrement le lapsus de l'appeler Maurice, le prénom du papa/fils disparu, n'est sans doute pas non plus étranger à cette confusion précoce des genres… Puis s'ensuivit une éducation de garçon, avec moulte lectures, balades à cheval, promenades en forêt avec Dechartres, le fameux précepteur, qui lui enseignait les insectes, les étoiles, et lui offrit les plus beaux des cadeaux: une ouverture d'esprit et une curiosité insatiables. Jeune fille, elle s'inventa un Dieu mi homme, mi-femme, Corambé. Tant qu'à croire au divin, autant qu'il corresponde à sa vision du monde!
Certes, cette éducation ne fit pas d'elle une épouse modèle. Sa docilité se heurta vite à un mur terrifiant: celui de l'ennui. Enorme. C'est que Casimir, son mari, n'était pas mauvais bougre, le pauvre. Il aimait juste tirer le gibier, puis les soubrettes. Pas marrant pour notre futur George. C'est que contrairement à ses contemporaines, on ne lui avait pas inculqué le goût de la soumission maritale et des taches ménagères; ce qu'elle voulait, c'était parler philosophie, littérature… Elle réussit donc à divorcer sous l'infâme code Napoléon, et retrouva sa liberté!
Pourquoi parler de George Sand encore aujourd'hui, en ce début de XXIème siècle? Parce que nos contemporains s'agitent beaucoup autour de cette fameuse question du genre et que Sand a été il y a plus de 200 ans, la preuve vivante qu'une femme qui n'est pas formatée à un rôle subalterne, peut se découvrir un grand destin. Pour une Artemisia combien de femmes peintres, pour une George Elliot, combien de femmes écrivain, pour une Clara Schumann, combien de compositrices auraient vu le jour si elles n'avaient pas été élevées à être belles et à la boucler!
C'était il y a longtemps? Les choses ont changé? Oui, elles ont changé, mais pas forcément en bien. Le terrorisme de la beauté est à son apogée, (les chirurgiens esthétiques et les marchands de crèmes vous le confirmeront), le sexisme se porte bien merci, et il y a encore des hommes courageux pour défendre le bien fondé de la prostitution alors que l'on est bien loin de la pute au grand coeur, fantasme typiquement masculin et désuet des années 50! Aujourd'hui, celles qui arpentent les trottoirs s'apparentent d'avantage à des esclaves qu'à des filles qui font un job (blow job? *) comme un autre.
Si Sand a défié avec courage les stéréotypes masculins, ça ne l'a pas empêchée d'être femme… et d'aimer à la folie des hommes!
Il n'y a pas UNE façon d'être une femme, comme il n'y a pas UNE façon d'être un homme. 
Oui, George Sand incarne encore et toujours la femme libérée du poids du carcan social, qui s'invente une identité forte et unique, loin des sentiers battus. 
Oui, Sand est vivante, je l'ai rencontrée*.

* cf Isabelle Alonso "Et encore, je m'retiens!
* il faut lire le remarquable "Une histoire politique du pantalon" de Christine Bard
* blow job: pipe (en anglais)
* "George Sand, ma vie, son oeuvre" tous les mardis à 20h au théâtre du Gymnase à partir du 15 avril accompagnée par Gérald Elliott et Patrick Laviosa, dans une mise en scène d'Alex Lutz, (le génial Catherine de "La revue de presse de Catherine et Liliane" sur Canal +... entre autres) et des costumes de Jean Paul Gaultier, celui qui a le plus brouillé les signes du genre depuis les années 80, et avec quel talent! CQFD.


vendredi 12 octobre 2012

J'AI HONTE!!!



Aujourd'hui, vendredi 12 octobre, j'ai honte. Honte de la justice. Honte de la justice de mon pays. Nina et Aurélie, les deux jeunes femmes qui ont porté plainte dans le procès des "tournantes" de Fontenay-sous-Bois subissent un deuxième viol. Leurs bourreaux ont été condamnés à des peines de prison avec sursis. Autant dire acquittés, quasi  innocentés. Les victimes, elles, ont pris perpète. On ne se remet jamais d'un viol. Quel scandale! Au prétexte que les faits avaient eu lieu il y a longtemps, au prétexte que l'une des deux victimes aurait commis une tentative de suicide quelques jours après l'ouverture du procès, au motif que le frère de l'autre aurait traité sa soeur de menteuse. Et évidemment, parce qu'au cours du procès les deux jeunes femmes sont passées subrepticement du banc des victimes au banc des accusées. Car en plus, elles se sont fait insulter. Elles se sont fait traiter de nymphomanes et de menteuses, parfois même par un membre de leur propre famille. Et ce sont ces paroles-là, infâmes, ignobles, plutôt que la leur qui était fragile, qui ont gagné. Quelle honte!

Elles ont mis longtemps à porter plainte? L'affaire est entendue: il y a un pourcentage dérisoire de femmes ou de jeunes filles qui osent porter plainte contre les violences sexuelles. Et ce verdict scandaleux ne va pas arranger les choses. Quand il y a viol, c'est toujours la victime qui a honte, pas le violeur. Comme pendant la deuxième guerre mondiale les rescapés des camps se sentaient coupables d'avoir survécu à la Shoah, alors que des gens comme Flicks ou Ribbentrop n'ont jamais exprimé la moindre once de culpabilité, les violeurs, dans la droite ligne de leurs actes barbares, continuent à ne pas voir où est le problème. On apprend que les victimes avaient peur des représailles. A juste titre puisqu'elles et leurs familles ont été harcelées.

L'une d'elle a commis une tentative de suicide? Oui, se livrer en pâture au jugement de la cour et des médias, se soumettre à leur regard inquisiteur et dubitatif est une épreuve que l'on n'a pas forcément le courage d'affronter quand on a déjà subi une agression aussi ravageuse qu'un viol. Surtout quand on est déjà morte une fois sous les coups de reins de ses agresseurs. Oui, un viol, ça tue, ça détruit, ça met en pièces un individu. Il faut un courage hors norme pour affronter des agresseurs sûrs d'eux et un système judiciaire lâche.
Le frère de l'autre l'a traitée de menteuse? La belle affaire! Un frère, comme un père, n'est pas de facto protecteur ou juste. Combien de frères offrent eux-mêmes leur soeur en pâture à des violeurs? Combien de pères préfèrent croire que leur fille est une menteuse plutôt que de la défendre? Combien de membres de la famille d'une victime se défaussent derrière des "Elle n'avait qu'à pas y aller"?. Violée, puis insultée. Violée, puis traitée de menteuse. Violée, puis traitée de pute. Et il faudrait qu'en plus elle ait le courage de se faire laminer par la justice de son pays? On comprend qu'il y en ait qui hésitent!
On a dit que les victimes étaient fragiles? On le serait à moins. Leur parole systématiquement mise en doute, alors que déjà leur corps n'a pas été respecté, pire que ça abusé, maltraité, nié, alors qu'elles ont vécu un véritable calvaire, comment peut-on imaginer qu'elles puissent être sûres d'elles, solides?  Il y en a même qui oseront leur dire que c'était un fantasme, leur fantasme toute cette histoire... Elles sont forcément détruites, ravagées.

Car ne l'oublions pas ces jeunes filles, alors âgées de 16 ans avaient été sodomisées de force, obligées à des fellations, brulées par des cigarettes, frappées!!! Que les garçons faisaient la queue pour les violer, les uns après les autres. Et que ça a duré des mois. Et leurs tortionnaires ont eu l'aplomb d'affirmer qu'elles étaient consentantes, qu'elles étaient des "grosses putes", qu'elles aimaient ça !!!!! Quelle honte!

J'espère évidemment qu'il y aura appel et que justice sera faite pour que toutes les autres victimes n'aient plus peur de se retourner contre leurs assassins. 

Et je souhaite aux avocats des violeurs ou aux jurés qu'un jour leur fille, leur soeur ou leur femme ne soient pas victime d'un viol. A moins que cette fois aussi, se drapant dans le déni, celui qui tue les victimes une deuxièmes fois, ils ne jugent que c'est leur fille, leur soeur ou leur femme la coupable, devenant définitivement complices des violeurs.
Les victimes ont honte?

Moi aussi, aujourd'hui, j'ai honte!



dimanche 19 août 2012

Minous en fureur!



On ferait la gueule pour moins que ça. Pas elles. Les trois filles que la justice, ou plutôt l'injustice russe va envoyer en camp pour deux longues années, restent souriantes. Les Pussy Riots, traduction, les manifes de chattes ou les minous en fureur ont encaissé le verdict avec la grâce qui les caractérise. Déjà, avec elles, le vieux cliché qui continue à véhiculer l'idée rance que les féministes sont moches, vieilles et mal baisées en prend un sacré coup dans les gencives. Non seulement elles sont belles, mais en plus elles ont un courage qui ferait pâlir beaucoup d'hommes. Car si elles sont en fureur contre le dur régime de Vladimir Poutine, le plus en fürer des quatre n'est pas celui qu'on croit. Il ne lui manque que la mèche et la moustache au com'rade russkof. 
      Petite parenthèse: il fut un temps où la cagoule était le signe de l'extrême droite, comme à la belle époque des fameux cagoulards anti communistes, antisémites et antirépublicains des années 30 qui essayèrent de renverser Léon Blum, et aux USA, la-dite cagoule se portait pointue et blanche sur de longues robes de la même couleur par des hommes dont les visages pâles n'hésitaient pas à lyncher leurs brothers plus foncés qu'eux. Je ferme la parenthèse.
       Je me suis laissée dire que les russes de sexe féminin sont folles de lui, qu'elles le trouvent méga cool, trop tendance avec sa dégaine à la James Bond, version Daniel Craig. Ça ne fait que corroborer l'idée que ce type est un facho, en plus d'être un macho. C'est fâcheux. Car comme j'ai lu récemment dans le formidable "Femmes de dictateur" de Diane Ducret et vu dans un aussi épatant documentaire sur Arte, les femmes ont raffolé des Mussolini, Hitler et autres Pétain, et les ont toujours submergés de lettres de fan à tel point que Johnny, Justin Bieber et autres George "what else"?" Clooney, à côté, c'est du jus de chaussette, question charisme.
Paradoxalement, si ce sont les femmes qui lui font de la pub, à l'homme aux pecs sévèrement  burné, (vous l'avez vu torse nu en Sibérie tel le Lucky Luke de base chevauchant son fier destrier et plongeant dans la rivière, Rambo et con à la fois?), ce sont aussi des gonzesses qui s'opposent à lui de la manière la plus médiatique, et comme aujourd'hui ce qui n'est pas dans les médias n'existe tout simplement pas, force est de constater qu'à part des gars plus fachos que lui, comme Limonov, ce sont des nanas qui se mouillent pour dire qu'il y a vraiment quelque chose de ripou au royaume de Vladimir.
      Deux ans de goulag pour une chanson dans une cathédrale? Pincez moi, c'est un cauchemar! Nous voilà revenus au pire de la période stalinienne, quand on n'hésitait pas à envoyer dans les camps ceux qui avaient botté une vanne de trop. Car s'il y a des gens qui n'ont pas, mais alors pas du tout  le sens de l'humour, c'est pas les féministes, mais bien les dictateurs. 
Certaines camarades russes ont poussé le sens de l'auto-dérision jusqu'à manifester à poil contre le régime. Eh oui! Après Vlad, le Big Tovaritch, les opposantes aussi enlèvent le haut! Car en Russie les féministes sont acculées à montrer leurs nibards pour se faire entendre. C'est qu'elles ont tout compris. Elles savent très bien que tout le monde s'en contrefout de leurs revendications, mais qu'en revanche des jolies blondes appétissantes à oilpé, ça, ça émoustille le chaland, ça fait bander le média, ça excite les rédacs chef. Les filles à poil, c'est toujours décoratif sur une couve de journal. Sauf qu'elles, on ne les envoie pas en camp pour autant.
Les Pussy Riots, si. On leur reproche quoi au juste? Quel attentat, quel complot, quel crime leur vaut donc ce procès et cette sentence digne des années 50? Avoir chanté un truc anti régime dans une cathédrale avec une cagoule sur la gueule. Elles n'étaient même pas nues, les Pussy, il n'y a eu ni blessés, ni morts, juste quelques croyants offusqués. Franchement pas de quoi fouetter un chat, encore moins de quoi en envoyer trois, de chattes, au goulag. 
D'autres chanteurs et non des moindres ont sans doute inspiré ces chattes mécontentes. Le grand Serge et son "Le klan le klan la cagoule, relax baby be cool, Autour de nous le sang coule, relax baby be cool, A la morgue il y a foule, relax baby be cool…". Sauf qu'elles, elles ne sont pas restées cool.
    Mais l'artiste à laquelle elles doivent cette sentence lourde est sans conteste celle dont le nom évoque la virginité et dont les images ont appelé nombreux croyants à s'agenouiller et se recueillir, émus devant tant de pureté, la Madonne elle même. Evidemment, pas celle dont les icônes ornent les murs des cathédrales où nos trois grâces punks cagoulées pas bien orthodoxes ont poussé leur gueulante, l'autre, celle qui n'hésite pas à dévoiler chaque année un peu plus de son anatomie, qui lorsqu'elle qu'elle s'agenouille le fait rarement pour prier God, et dont les mélopées payennes ont chauffé bien des dance floors, Ze Madonna donc qui après la sortie de son livre au titre on ne peut plus explicite "SEX", en avait remis une couche pour les non comprenants: " 'Cause I'm not sorry" traduction: Non, rien de rien, non je ne regrette rien….
Car c'est surtout ça qu'on leur reproche aux ni putes ni soumises popov. Non seulement elles narguent le régime, mais en plus, elles persistent et signent, les pouffes! 
Pour les soutenir, je propose un geste fort. Un boycott par exemple. Perso, j'arrête les molossols (les gros cornichons russes), les blinis et le caviar. Je suis comme, ça moi, faut pas me chercher. En revanche, je veux bien un petit shot de Stolichnaïa pour me donner du courage…. Et une cagoule, tiens! Allez Michaël, rechante la nous: Fous ta cagoule, fous ta cagoule Du nord au sud de l'est à l'ouest même a Vesoul Fous ta cagoule ouai, fous ta cagoule sauf à Kaboul sauf à Kaboul.... Et à Moscou!

samedi 23 juin 2012

Judith Magre, la dernière diva




Judith Magre, c'est d'abord une silhouette. Légère, filiforme, drapée dans ses châles ou ses doudounes, elle a une façon bien à elle d'occuper l'espace. Avec sa tête d'oiseau, ses immenses yeux noirs toujours fardés comme une tragédienne qu'elle est, sa bouche rouge baiser gourmande et rieuse, elle a beau avoir l'air presque frêle, sa présence irradie instantanément. Celle qui aime dire que quand elle ne joue pas elle est un ectoplasme, a une densité rare, et s'il lui arrive de se sentir vide, c'est sans doute pour compenser la force qui l'habite. Sans doute aussi ce vide la rend-il un peu poreuse, nous laissant la place, à nous spectateurs.

Mais la Magre, c'est les yeux fermés qu'on la reconnaît. A la voix. Sa voix est un paysage rocailleux, plein de cascades, de clairières, de sous bois. Avec elle, la moindre phrase prend des couleurs, nous embarque dans des émotions pleines de contrastes et de surprises.

Elle est ce qu'on appelle un monstre. Un monstre sacré s'entend. De la fibre des plus grandes. Des Rachel, des Sarah Bernhardt, des Marguerite Moreno. Pourtant celle qui se réjouit quand les spectateurs lui avouent qu'elle les a fait pleurer, a commencé sa carrière persuadée qu'elle était faite pour le comique. Pétrifiée de trac (une angoisse qui ne l'a jamais quittée, une vie plus tard) c'est poussée sur scène par un régisseur qu'elle a fait ses débuts, atterrissant à plat ventre, faisant rire le public. Ce qui fascine chez elle, c'est cette facilité qu'elle a à nous bouleverser et l'instant d'après nous faire éclater de rire, sans avoir l'air d'y toucher. Profonde, subtile. Géniale.

Si elle ne regarde jamais en arrière, poussée par une curiosité et une jeunesse indéfectibles, choisissant toujours des textes dont la modernité et l'audace en effrayerait plus d'un, elle garde néanmoins une certaine nostalgie de cette rue de Tournon où elle vit depuis quarante ans. Emue, elle se souvient de son petit épicier en bas de chez elle, où elle pouvait se servir à n'importe quelle heure, passant le payer à la fin du mois, comme du bistrot où elle s'approvisionnait en glaçons ou en whisky. A l'entendre, la rue a basculé à l'arrivée de Saint Laurent, dont elle est devenue une fidèle cliente, et elle a un peu la nostalgie de l'époque où la boutique YSL était la seule de sa rue.

La dernière diva habite à quelques rues du théâtre de l'Odéon et du Flore, là où Shirley Goldfarb aimait prendre son café et écrire le journal intime qui a donné la matière poignante de "Shirley", que Judith a incarné avec éclat et émotion, et pour lequel j'ai eu le bonheur de l'accompagner. Judith Magre, vibrante et lumineuse: le diamant noir du 6ème.


texte publié dans "Le 6ème Continent", un livre écrit avec divers auteurs de Sylvie Bourgeois à Yves Simon en passant par Pierre Belfond....

mardi 27 mars 2012

RIRE AVEC ELLES


Après une semaine passée à regarder des femmes humoristes sur la scène du merveilleux théâtre du Ranelagh dont la directrice Catherine Develay épaulée par Arts & Spectacles ne cesse de proposer une programmation éclectique et curieuse, je me pose la question du rire au féminin.

C'est quoi? Y a-t-il un humour spécifique aux femmes? La question se posait déjà sur les auteures, réalisatrices, peintres et autres musiciennes. Personnellement, le fait de sexuer une création pour la définir ou la cataloguer m'a toujours semblé curieux, et j'ai tendance à penser qu'il y a surtout des bons et des mauvais artistes. Quid de l'art pédé, lesbien, noir, arabe ou asiatique? Le genre d'un artiste, et à fortiori d'une artiste n'augure en rien de son talent. En matière artistique, il n'y a que des exceptions. C'est la règle.

Or, à voir défiler toutes ces humoristes femmes, quelques réflexions s'imposent à moi.


D'abord, la violence de l'exercice. Pour quelques uns qui "cartonnent", combien qui rament devant des salles clairsemées, dans lesquelles les rires sont rares…. On ne dira jamais assez la solitude de celui ou celle qui se présente sur scène devant le public, avec uniquement sa gueule, son corps, et ses textes pour tout bagage. Ce qui m'a toujours fascinée dans les one wo(man) show, c'est que les artistes arrivent sur le plateau avec leur bite et leur couteau autant dire, pour nous autres femmes, pas grand chose (mieux vaut avoir des textes au rasoir, sous peine de raser le spectateur, un poil blasé de tous ces nouveaux comiques postulants), pour nous embarquer dans leur univers. Evidemment plus celui-ci est impitoyable, plus c'est fort, et je ne parle pas de la provoc', la nouvelle tarte à la crème, dont les limites toujours repoussées la rendent aujourd'hui assez vaine. C'est de la noirceur, du désespoir que surgissent les plus beaux textes, et les meilleurs artistes. Zouc, la plus grande, inégalée, nous faisait hurler de rire avec des textes au bord de la crise de nerfs.


Pendant ces six jours de shows, j'ai noté qu'il y avait de sacrés différences entre toutes ces femmes humoristes.

Il y a celles qui marchent dans les pas des mecs, et pas les plus glorieux, avec des blagues sexistes, se moquant des politiciennes (pfffff encore Roselyne Bachelot et son poids? Vous n'en avez pas marre d'enfoncer des portes ouvertes?), ou se décrivant comme des objets sexuels, forcément sexuels, alimentant les discours machistes, comme si les hommes ne s'en chargeaient pas déjà bien assez. (Heureusement, nous avons échappé à un genre très répandu, l'humoriste qui raconte à quel point elle n'arrive pas à "chopper", celle qui se pose en victime de la soi disant libération sexuelle, véhiculant l'idée bien répandue que la liberté se paye cash… en malheur.)


Heureusement il y avait aussi et surtout la délicieuse et désopilante Nadia Roz, lauréate du prix Biba, partenaire de cette première édition, qui nous a fait marrer avec des sketchs bourrés d'énergie et de générosité doublés d'une vraie réflexion sur le rapport hommes-femmes. Ou Emilie Deletrez, barrée, excessive, à la fois physique et poétique. Juste énorme…

Et puis Emilie Chertier, totalement unique avec sa tronche invraisemblable, espèce de Gaspard Proust avec des nichons, qui nous renvoie à la vraie question: c'est quoi l'humour? Elle nous a arraché des rires nerveux en lisant du Nietzsche ou en arpentant le plateau en silence ("on entend bien le bruit des pas, hein?") me rappelant Zouc qui commençait un de ses spectacles en se campant devant le public, et après un long silence nous balançait "qu'est ce que vous voulez?"

C'est vrai ça. Qu'est-ce qu'on veut? Rire oui. Mais pas que. Réfléchir aussi, évoluer. Pas en prendre encore une couche de misogynie et de clichés débiles.


Allez les gonzesses! Sortez des sentiers battus et rebattus, et comme Valérie Lemercier ou Julie Ferrier proposez nous des personnages fous, cruels. Osez, les filles! Osons!


La bonne nouvelle, c'est qu'au moment où j'écris ces lignes, une jeune femme qui a tué son bourreau (celui-ci étant accessoirement son mari) vient d'être acquittée. Sur les images des journaux télévisés, on découvre une Alexandra Lange (c'est son nom) heureuse de renaitre après onze ans de cauchemar avec un type alcoolique et violent qui la frappait, la violait, menaçait aussi ses enfants, et de mois derrière les barreaux en attente de son procès. Une jeune femme joyeuse, soulagée, libérée. Enfin.


Et on est heureuses, nous aussi, de pouvoir rire avec elle.


vendredi 2 mars 2012

A STAR IS MORTE


Cette année Whitney Huston ne fêtera pas la journée de la femme. Elle ne peut pas, elle est morte.

Et sa mort me touche. Sans doute parce que la première fois que j’ai entendu cette voix exceptionnelle, j’étais au Diable des Lombards avec l’un de ceux avec lequel j’ai « fait » « C’est la ouate ». Je n’avais aucune idée à l’époque de la petite révolution qu’allait opérer cette chanson sur moi et sur les autres. Je ne savais rien du show biz et des effets dévastateurs du succès sur les personnalités fragiles. Pour moi, comme pour ceux qui ne l’ont jamais vécu, faire un tube, devenir une pop star était le fantasme absolu.

La mort précoce de Whitney Houston me renvoie comme une gifle toutes les histoires que j’ai entendues sur ces chanteuses disparues trop tôt, ravagées soit par l’alcool, soit par la drogue, soit par des histoires d’amour malheureuses. Souvent par les trois. Amy Winehouse, Janis Joplin, Billy Holliday, Edith Piaf, Dalida, Judy Garland…. Les plus grandes.

Le point commun entre toutes ces chanteuses ? Evidemment leurs voix qu’elles nous livraient sans pudeur, qu’elles offraient au monde, nous ouvrant en grand l’accès à ce qu’elles avaient de plus intime, car la voix est bien ce qui est le plus intime chez un être humain, et ces voix-là étaient si chargées de sexualité que c’en était troublant. Elles témoignaient de femmes branchées direct sur leurs émotions, poreuses donc fragiles. On ne peut pas livrer « ça » et être une dure à cuire. Madonna qui me fascine, la tough cookie, la guerrière, l’invincible, a tout sauf une voix émouvante. Elle, elle ne risque ni de se faire maquereauter par son manager, ni de se noyer abrutie de cachetons dans sa baignoire…

Vous me direz, tout le monde meurt, ça n’est pas spécifique aux chanteuses. Certes. En revanche, ce qui leur est spécifique, c’est cette descente aux enfers, alcool, drogues et autres pertes de dignité dont le monde se goberge aujourd’hui avec plus ou moins de délectation et d’obscénité. Pour Whitney Houston, aux Grammys, ils ont dit qu’au moins cette année, elle n’assisterait pas bourrée à la cérémonie, faisant honte à toute la profession, et que grâce à son décès, on pourrait enfin parler d’elle… en bien. Le cynisme de ce métier est sans limites. Et les fameux « démons » des chanteuses ont bon dos.

Dans un article du Figaro, je lis le récit de Jackie Lombard qui a produit ses concerts français et y apprend que quand elle venait seule à Paris elle était « géniale », mais que dès que son Bobby Brown de mec déboulait, elle changeait du tout au tout, et ne sortait plus de sa loge que pour chanter. Et je repense à toutes les histoires qui circulent dans le métier sur les maris des chanteuses et sur les drames qui se jouent en coulisses. Les maris, les amants, les mecs-macs, ceux qui les ont découvertes, ou produites, ou rencontrées au faîte de leur gloire. Ceux qui ont tout lâché pour « s’occuper » d’elles. Ceux à qui elles doivent tout, qui les managent, leur disent comment s’habiller, quoi chanter, quoi manger, comment répondre aux interviews. Ceux qui les aiment mieux que tous les autres, ces autres qui ne voient que des $ quand ils les regardent dans les yeux. Ceux qui parfois, lorsqu’elles quittent les sunlights les humilient, les insultent, leur disent qu’elles ne sont rien, des nulles, des nazes, qu’avec une bonne chanson n’importe qui devient une star, que leur succès n’a rien à voir avec leur talent… « Tais-toi et chante ! » Les fameux hommes de l’ombre qui ne rêvent que d’une chose, être à la place de « leur » star, dans la lumière, et fuck, être famous eux aussi !

Elles, amoureuses, ou juste terrorisées, elles encaissent. Jusqu’à ce que, comme les femmes battues ou violées, elles retournent la violence contre elles même, n’osant se libérer de leur tyran qui, évidemment, leur assure qu’il les aime, lui.

Whitney Huston n’est plus là pour nous enchanter.

Je l’ai échappée belle : moi, je peux fêter la journée de la femme.

mercredi 18 janvier 2012

PINA.


Des corps qui se jettent contre les murs, des corps qui se cognent, des corps qui se déplient comme des origamis, des corps qui se cherchent pour s'aimer, des corps qui souffrent, des corps qui tombent, des corps qu'on manipule comme des objets, des corps qui exultent dans l'eau. Des corps qui ne sont ni lisses ni jeunes. Des vrais corps. Des corps qui disent la violence et la beauté. Des femmes qui sont barbouillées de rouge à lèvres. Des hommes qui se confrontent à la terre, à la pierre. Des corps habités.


Dans le magnifique film de Wenders qui est sorti en DVd il y a peu, les danseurs de Pina Bausch sont tour à tour dans les champs, devant une usine, dans une maison de verre. Les décors ultra modernes, quasi abstraits renforcent la beauté des performances.


Pina Bausch, chorégraphe existentielle met en scène la solitude, le désespoir et l'exaltation comme nulle autre. Les visages muets de Ses danseurs dont on entend la voix en off sont graves, orphelins du regard perçant et exigent de leur Pina.


Voir "Pina" est une expérience unique. On entre dans un monde où la beauté est profonde, intérieure, quasi mystique.


Ça fait du bien. Ça fait des vacances.