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http://www.mistinguettmadonnaetmoi.com/ et "CRIME PARFAIT",l'album en magasin!!

samedi 10 décembre 2011

YOU T'ENTUBE



"C'est combien l'acte gratuit? Si j'comprends bien, c'est hors de prix" chantait Bashung dans les mots quelque peu lacaniens de Serge Gainsbourg. Le raccourci génial a le mérite d'aller droit au but, et si dans la chanson, il était vraisemblablement question d'amour, cette vérité vaut pour nous autres pauvres artistes de ce début de XXIème siècle qui ne s'annonce pas vraiment être sous le signe des Lumières. En effet, par un glissement progressif mais certain les plaisirs, virtuels ou pas, sont devenus gratuits, que ça soit sur Internet ou dans la fameuse vraie vie qui fait encore de la concurrence à second life. Partout, des concerts, des journaux, des spectacles… gratuits! Partout des bons plans, des invitations, des promos. Il fut un temps préhistorique où c'était Mammouth qui écrasait les prix. Aujourd'hui, les grandes surfaces n'en ont pas la primeur et la gratuité généralisée se double, d'un drôle sentiment: que c'est normal. Pire, que c'est un droit. Payer, c'est has been, ringard, fini. Ça ne se fait plus du tout, darling.

Il y a quelque temps, un journaliste avait même recensé tous les moyens de passer une journée sans mettre la main au portefeuille, en allant chez un coiffeur comme cobaye, au resto à l'oeil, chez le dentiste gratos, au théâtre pour pas un rond etc… On ne sait pas s'il s'est fait sucer à titre gracieux... Quoi qu'il en soit, le pékin moyen qui a envie d'aller au théâtre peut désormais regarder sur des sites, qui eux engrangent des fortunes grâce à la publicité, y trouver les spectacles qui manquent de monde au balcon voire à l'orchestre, et s'y rendre sans débourser le moindre euro. C'est un public qui est là pour remplir un peu la salle, donner l'illusion que "ça marche", le fameux "fond de salle" comme on dit d'un fond de tarte sur lequel on poserait les fruits, en l'occurrence le spectateur bonne poire qui a payé sa place. Un public qui est également censé lancer le fameux "bouche à oreille" alors que le théâtre, asphyxié, aurait plutôt besoin d'un bon bouche à bouche pour sortir du coma. Le drame, c'est que ce public qui ne sort pas un sou de sa poche, va voir une chose ou une autre, indifféremment, et que son niveau d'exigence est à la mesure de son investissement: nul. Et s'il n'a aucune pudeur à regarder des artistes se défoncer sur scène pour l'émouvoir ou l'amuser, alors qu'ils peinent à boucler leurs fins de mois et sont depuis des années au régime dissocié composé exclusivement de pâtes, ce même public ira sans états d'âme fêter ça au bistro du coin, où ce qu'il aura économisé en places de théâtre lui permettra de prendre entrée ET dessert.
Vous l'aurez compris, la gratuité, je suis contre. Je dirais même mieux, je trouve ça dangereux. Car cela pose un double problème. Pour le public d'abord. Puis pour les artistes. On nous fait croire, ô démagogie suprême, qu'il faut que les musées ouvrent leurs portes à tous pour rien. Que cet accès libre et gratuit à la culture va attirer des foules avides de beauté et de sens. Mais ça n'existe pas dans la vie, les choses qui coutent walou, à part la nature, enfin ce qu'il en reste, et l'amour, parfois. Tout a un prix. Il est comment le regard de celui auquel on offre l'art gratis, sur un plateau d'argent? Quelle valeur peut-il accorder à des oeuvres qui lui sont livrées pour rien, celui qui entre au frais de la princesse, en l'occurrence l'état? Comment peut-il respecter ce qu'il regarde ou ce qu'il entend celui qui ne sort pas d'oseille de sa poche? L'art ne vaudrait donc rien?! A regarder les expos d'art contemporain, un oxymoron, effectivement ça ne vaut plus tripette…. Je reviens de Venise où j'ai vu la ville-beauté polluée par des installations plus absconnes les unes que les autres, sous prétexte de propos subversifs sur la violence du monde moderne. Pathétique! S'il suffisait d'être iconoclaste pour être intéressant, ça se saurait…. Mais je m'égare.

Et les artistes dans ce système, comment ils font? Leurs factures, leur loyer, leur quotidien, leur vie, ils la règlent avec quoi? Etre artiste, ça n'est pas un passe temps, que je sache. Si c'est vrai qu'il y a beaucoup trop de gens qui croient qu'ils ont des choses à raconter et le talent pour le faire, les artistes pour lequel c'est vital de créer, ils font comment pour survivre dans un monde où leur production n'est même plus un produit?
Les nouveaux systèmes de communication, you tube, dailymotion, deezer et tous les sites de streaming nous permettent désormais d'avoir accès en un clic à tout, que ça soit de la musique, des films, des séries télé… On a le monde à portée de main sur notre clavier. Bientôt les livres aussi, à ce qu'il paraît! Quel progrès! Sauf que parti comme c'est, nous, les chanteurs, compositeurs, auteurs, réalisateurs, photographes, acteurs, nous n'aurons bientôt plus que nos yeux pour pleurer sur nos factures en souffrance. "Misère, misère…" chantait Coluche.

Mais que se passe-t-il? Je me suis laissé dire que You Tube avait été acculé à débourser d'avantage pour rétribuer les artistes? Sonnez hautbois, résonnez musette! Et combien ils raquent le visionnage au producteur, maintenant? 0,0007401186€? Net?! Alors là, franchement j'hésite… Foie gras? Saumon? Caviar? Si ça continue comme ça, on va encore fêter Noël chez Leader Price. Ou chez ED. On a le choix…. J'hésite….

mardi 18 octobre 2011

ZE ARTIST


Quelqu’un m’aurait dit qu’en octobre 2011 je regarderais, dans une salle comble du Forum des Halles, un film muet en noir et blanc tourné quelques mois plus tôt à Hollywood, je lui aurais demandé le numéro de son dealer…. Et pourtant… Hier soir, j’ai été voir « The artist », le dernier film de Michel Hazanavicius avec Jean Dujardin et Bérénice Béjo. Comme sans doute la majorité des spectateurs, j’étais là pour Dujardin. Pour Loulou, pour Brice, pour OSS 117. Comme beaucoup, j’ai une passion pour Dujardin, véritable génie comique, et j’avoue que son arrivée dans le champ de la première séquence de OSS117, la scène de danse, me met dans un état de transes assez inquiétant. (pas besoin du dealer précité !) En plus, il est beau, il est sexy, enfin, vous l’aurez compris : je suis fan ! Je dirais même mieux : présidente du fan club ! Mais il n’est pas seul. Dans « The artist » il partage l’affiche avec Bérénice Béjo, que j’avais trouvée charmante dans ces faux films d’aventure à la manière des années 50-60. Et là, quelle est ma surprise de tomber complètement sous son charme. Peppy Miller, le personnage de jeune première incarné par Mademoiselle Béjo est, dans le désordre : craquante, pétillante, spirituelle, émouvante, piquante, chic. En un mot comme en cent, délicieuse. Elle illumine l’écran de sa fraîcheur et de sa gaieté. Une révélation, et elle aurait très largement mérité le prix d’interprétation cannois elle aussi…

Que la salle de ce complexe, pompe à fric bien loin de ma chère cinémathèque de Chaillot, là où j’ai passé mes années d’adolescence jusqu’à sa fermeture, là où j’ai vu en chair en os (surtout en os) et en tailleur Chanel l’immense Bette Davis accrochée au bras de Costa Gavras qu’elle appelait mister Gravas allumer une cigarette sur scène dans un geste glamour, là où j’ai découvert ce cinéma hollywoodien auquel le beau film de Hazavanicius rend un hommage habité et intelligent, que la salle de ce complexe donc, soit bourrée à craquer de gens qui, pour la plupart, n’ont sans doute jamais entendu parler d’Ernst Lubitsch ou de Nazimova est un exploit assez fascinant. Dans cette salle de trois cent places, quel bonheur de reconnaître un clin d’œil à « La huitième femme de barbe bleue », à « Sunset Boulevard » ou à « Citizen Kane » ! Quelle joie de déceler des références subtiles à Maurice Tourneur et Franck Capra ! Quelle merveille de trouver dans l’histoire même, un film sur des acteurs, un film sur le cinéma, un film sur l’ascension et la chute d’une de ces premières stars de la pellicule, le point de départ même de tellement de ces films qui ont été les chef d’œuvres du 7ème art. Et évidemment, au cœur de tous ces hommages subtils, quelle délectation de vibrer à la référence, « Chantons sous la pluie », le grand film sur l’avènement du parlant qui a flingué le muet, mettant sur la paille toutes ces vedettes qui n’avaient pas su, ou pu, passer aux talkies. Dans mon fauteuil, j’ai été épatée par la photo magnifique de Guillaume Schiffman et la musique, elle aussi truffée de références, de Ludovic Bource.

Moi qui pleure devant un film de Fred Astaire avec ses seconds rôles désopilants, de Edward Everett Horton à Eric Blore, moi qui connais chaque plan de « All about Eve », moi qui ai adoré Mankiewicz et Cukor, hier soir, dans cet immonde Forum des Halles défiguré par cette architecture atroce qu’ils ont enfin commencé à démolir, j’étais sur un petit nuage. Jusqu’au moment où, à la toute fin du film, Hazanavicius, après nous avoir baladés avec malice dans toutes les déclinaisons scénaristiques autour du silence, ose quelques minutes de vrai silence, de film muet sans musique. Et là, je me suis dit que vraiment il était trop fort ! Alors que dans les salles mitoyennes des bellâtres se battaient contre des robots en image de synthèse à coup de sensurround et autres effets spéciaux gavants, ou que des comédiennes dont le botox a réduit le nombre d’expressions à l’expression unique, celle de l’étonnement perpétuel, jouaient une énième comédie de mœurs soi disant modernes et éternels remakes de « Sérénade à trois », sur ce grand écran, je retrouvais le plaisir de mes premières amours cinématographiques vues dans l’antre de Langlois, au Trocadéro.

Passionnée de ce cinéma en noir et blanc dont la poésie et la force restent, à mon sens, rarement égalés, hier soir j’ai eu le sentiment d’être un peu moins un dinosaure que d’habitude. Au milieu de cette salle bondée je me suis sentie moins seule, et me suis réjouis qu’il y ait encore quelques dingues capables d’embarquer un public qui, pour sa majorité, date l’histoire du cinéma à partir du Grand bleu, à découvrir, et peut être aimer ce noir, ce blanc, et toute cette gamme de gris…

Si les comédiens, dans les derniers plans du film retrouvent le son de leur voix, moi ça me l’a coupée. J’en suis restée coite. Chapeau l’artiste ! Chapeau les artistes !

jeudi 6 octobre 2011

HAINE R J




Ça se passe à la radio, un soir de la semaine. Ma fille écoute sa radio préférée, NRJ. Personnellement, je suis plutôt France Culture ou France Inter, ce qui donne une idée de l'abime qui nous sépare. C'est sans doute ce qu'on appelle le gouffre des générations. En général, je passe dans sa chambre, j'entends quelques commentaires débiles, des rires forcés et gras, le tube R&B formaté du moment, et je change de pièce. Pas ce soir. Il y a un ado qui parle. Vraisemblablement, il est dans le studio et il s'adresse à son père. Quand je commence à percuter sur ce qu'il dit, j'entends "je vais arrêter l'école", "je vais dealer", ce genre de choses. A l'autre bout du fil, le père s'énerve. Comment ça il va arrêter l'école? Comment ça il va dealer, son môme? Mais qu'est-ce qu'il a à raconter n'importe quoi? Il a bu, le mouflet? Ça continue. Le gosse, encouragé par les animateurs qui ont l'air de bien s'amuser en rajoute. Au téléphone, le père devient fou. Très vite ça devient insoutenable. "T'es qu'une merde", "ce que je veux c'est gagner plein d'argent sans me faire chier", qu'il balance à son père, poussé par les crétins radiophoniques. Le paternel est au bord de la crise cardiaque. Il hurle, il dit qu'il va venir le chercher, il dit qu'il va lui péter la gueule à ce petit con, il dit qu'il a tout fait pour son môme. Il hurle. Il pète un câble. "T'es où? T'es avec qui? C'est qui les abrutis qui te foutent des idées pareille dans le crâne?" Dans la chambre de ma fille, je suis pétrifiée. C'est atroce. La France entière, enfin ceux qui écoutent cette radio de merde, ça n'est pas tout le monde, dieu merci, est témoin d'une séquence où un fils, pour gagner à un jeu naze rend son père fou de douleur. Au bout du fil, il lui détruit sa vie. Au bout du fil, il le crucifie. Les animateurs de plus en plus hilares finissent par prendre le malheureux géniteur en ligne et lui expliquer que c'était "pour rire" avant de balancer une nouvelle chanson. On ne saura rien de la suite de leur conversation. Ma fille, elle, a continué à vaquer à ses occupations, comme si de rien n'était. Elle n'a pas particulièrement ri, mais ça n'a pas eu l'air de la troubler plus que ça non plus. Moi, j'ai envie de gerber. De pleurer. D'aller casser la gueule à ce con de Cauet, puisque c'est de lui qu'il s'agit. Un quart d'heure de cruauté, de bêtise, à manipuler un môme qui de toute évidence ne se rend pas compte de la gravité de ce qu'il est en train de faire. Que s'est-il passé après? Son père l'a-t-il mis en pension? L'a-t-il privé de facebook pendant une semaine? Lui a-t-il filé une correction? Pour un quart d'heure d'antenne trash, une connerie à faire marrer des ados qui pensent que toutes les transgressions sont bonnes à prendre, détruire une famille? Flinguer un type qui essaye d'élever son gosse avec quelques notions de dignité? Humilier un homme, à l'antenne qui plus est par le biais d'un gamin inconscient? Quelle horreur! On est bien loin des canulars déjantés et des blagues subversives de Lafesse, qui n'avait pas froid aux yeux, mais qui était à se plier de rire, lui. Moi qui ai fait partie de la génération "radios libres", j'ai honte. Honte pour les cyniques qui sont à l'antenne. Honte pour ceux qui écoutent. Je ne suis pas bégueule, et l'ai prouvé à maintes reprises, mais ce mépris des gens est intolérable, inadmissible. Et choquant.

Et on lui a fait miroiter quoi au gosse qu'on a envoyé comme un kamikaze contre son père? Un nouveau portable? Des places gratuites pour un concert? Ou juste la satisfaction de passer dans le poste?

NRJ? Haine RJ, oui.

Le slogan du journal satirique Hara Kiri est "le journal bête et méchant". Sauf que 1-il n'est pas bête, 2-quand il est méchant c'est avec une idée à défendre. J'adore l'humour noir, voire très noir et pratique moi-même l'auto dérision avec délectation. Mais là, c'était juste méchant et incroyablement con.

S'il suffisait d'être méchant pour être drôle, ça se saurait….

A bon entendeur...

lundi 3 octobre 2011

ET J'ENTENDS SIFFLER LE TRAIN ....


Dieppe, son château, sa plage, ses galets. Son Festival de cinéma.

Depuis quatre ans une équipe passionnée invite le public et les professionnels à son festival au bord de la plage. C'était ce week-end. J'en sors. Je suis rincée.

Neuf films, cinq prix (des galets recouverts d'or à la feuille), six membres du jury, et un Président du jury.

Des films très différents, de la poésie, de la gravité, des enfants, des morts, un hommage au cinéma, un voyage en Iran, une belle actrice dans une grand rôle filmée par un réalisateur inspiré… Toute une palette d'images et d'émotions…. Jusque là, tout est normal. C'est la première fois que je me retrouve membre d'un jury, et je m'en réjouis. Je suis marxiste tendance Groucho, ma religion, comme Woody Allen, c'est l'art, j'ai une passion pour le cinéma, et en débattre avec d'autres passionnés promet de l'être, passionnant. Ce fut saignant.

Déboule un ovni: "Bovines", une heure sur des vaches qui broutent, qui dorment, qui broutent, qui se promènent, qui broutent, qui ruminent, qui broutent... Elles ne regardent même pas les trains passer.

Pendant les délibérations, je suis stupéfaite d'entendre voler des propos d'une misogynie qui me laissent sans voix. Corinne Masiero, l'actrice qui tient de bout en bout "Louise Wimmer" est une vraie comédienne avec une gueule, à mille lieues des filles au physique interchangeable et au narcissisme stupide, une grande gigue qui a une densité et une justesse peu communes, dont le sourire généreux éclaire soudain l'écran. Heureusement je ne suis pas la seule à être émue par elle et par le film de Cyril Mennegun qui lui a offert, la filmant au plus près avec délicatesse, un rôle fort. On se bat pour qu'elle obtienne un prix d'interprétation, continuant à essuyer les commentaires désobligeants de certains membres du jury. Tel le plus beauf des réactionnaires, il semblerait que certains jugent de l'éligibilité d'une comédienne sur ses mensurations. Ok. La misogynie, on connait, on ne s'habitue jamais, mais on connait…. Rien de nouveau sous le soleil.


Vient le débat sur "Bovines". Un film contemplatif et beau, profond, qui nous embarque dans le temps des vaches, un temps près de la nature, sans musique, en gros plans tendres et paysages embrumés où vivent ces animaux placides. Une heure sur les vaches, et c'est tout? Non, évidemment. Il y a une dramaturgie subtile dans le film. Les vaches mettent bas, on reste avec elles, avec les veaux qui les suivent, les tètent, passant goulument d'un pis à l'autre, la tendresse de leurs grosses langues léchant le placenta.

Et l'homme arrive. Ou plutôt les hommes: un couple d'éleveurs et leur enfant qui tient une baguette en bois pour mener les vaches… à l'abattoir. Des gros plans des numéros agrafés à leur oreille, un plan noir un peu insistant, suivi d'un plan de brouillard, il n'en faut guère plus pour que la référence à "Nuit et brouillard" d'Alain Resnais ne me saute au visage. D'autant que dans la deuxième moitié du film, le tracteur qui vient chercher les animaux, inquiétant, sort d'un chemin sombre, tel le train de l'horreur filmé par Claude Lanzmann… En creux, avec subtilité, on voit la mort se profiler. On repense au "Sang des bêtes" de Franju, redoutant la violence des images d'abattoir. Il n'en est rien. On voit les vaches pleurer quand elles voient leurs petits se faire emmener, on entend la paysanne lâcher, opaque, "Ce sont des mères tout de même"… et tout est dit.

Après le bras de fer avec mes collègues du jury pour le prix d'interprétation, il faut lâcher Bovines. Soit.

Nicolas, le jeune président du festival me l'a dit à mon arrivée à Dieppe: ici, pas de frime. C'est un Festival qui aime d'avantage le cinéma que le tralala qui l'entoure. On a beau être au bord de la mer, on n'est pas à Cannes, l'enjeu n'est pas le même, il n'y a pas de stars liftées et de gros producteurs à cigare, il me glisse que je peux me sentir libre dans mes positions, et qu'on est là pour le plaisir. Il ne faut pas me le dire deux fois.

Quelques instants avant la cérémonie de clôture, j'entraine sur la plage l'autre femme du jury, Agnès Mouchel, monteuse émérite, afin que l'on choisisse un petit galet que l'on remettrait à Emmanuel Gras, le réalisateur sensible de "Bovines". Un coup de coeur, un clin d'oeil amusant, un brin frondeur… Pas de quoi en faire un fromage. Une fois les prix remis aux uns et aux autres, présentés avec charme et humour par la délicieuse Nadine de Gea, je prends le micro et remets le petit galet que j'ai choisi parce qu'il y avait un signe "peace and love" à l'intérieur. Je fais monter le réalisateur, sous les applaudissements du public qui lui aussi a aimé le film. Et là, ça part en vrille. Un des membres du jury ivre de rage prend à son tour le micro et se met à insulter le réalisateur; il a détesté le film, ce qui ne nous avait pas échappé lors des délibérations. Le président du jury, Vladimir Cosma, blême, sort avec mépris un spray Riqlès de sa poche et fait mine de me le donner, pour me signifier que mon galet n'a aucune valeur, puis me balance "après, tu t'étonnes qu'il y ait de l'antisémitisme". Je suis sidérée.

Ah la vache! C'est énorme. Oui, Loeb c'est un nom juif alsacien. Oui, mon grand père paternel a pris le dernier bateau de Marseille pour fuir les nazis. Oui, quand il est rentré de la Havane où il a attendu la fin de la guerre, le galeriste qui devait lui garder sa galerie, puis la lui rendre à son retour n'a pas voulu obtempérer, et c'est Picasso qui est monté au créneau, appelant le malotrus et d'une phrase lapidaire, "Pierre est rentré", forçant celui-ci à une attitude digne.

Mais j'avoue que je n'ai jamais personnellement été confrontée à l'antisémitisme. Ça ne fait pas partie de mon paysage mental. Pardon monsieur Lanzman pour le calembour limite, mais j'ai d'autres Shoah à fouetter...

La réflexion de Cosma me cueille. Un moment l'idée que c'est de humour noir pince sans rire m'effleure. Si c'est de l'humour, ça n'est en tout cas pas de l'humour juif. L'humour juif, je connais: c'est drôle. Là, ça ne l'est pas. Naïve que je suis. Il répète cette réflexion désopilante au membre du jury soupe au lait qui s'est insurgé contre mon geste que je voulais sympathique et marrant, nullement consciente des vagues de haine que provoquerait ce minuscule galet. Un caillou dans la mare.

Il persiste et signe, le grand compositeur: juive. Voilà ce que je suis. Il ne faut pas que je m'étonne s'il y a de l'antisémitisme. (sic). Comme disait Dorothy Parker, "sic as a dog". Si son homophone Joseph Kosma a fui le nazisme en 1933, monsieur Cosma qui a signé la musique de "Rabbi Jacob" aurait donc des points communs avec le personnage joué par Louis de Funès? Et je ne parle pas de sa drôlerie.

Avec un visage lisse, ses yeux bleus vrillés dans les miens, la mâchoire crispée, il me ramène au film sombre de Resnais.

C'est la cérémonie de clôture, on attend le bouquet final. Les commentaires de la journée, misogynes, racistes, et enfin antisémites s'accumulent pour finir en gerbe finale.

Il paraît que j'aurais du prévenir notre président du jury de ma folle audace. Il paraît qu'il y a eu crime de lèse majesté. Il paraît que j'aurais pu lui présenter des excuses.

En l'espèce, s'il y a des excuses à faire, ce n'est pas de moi qu'elles doivent venir. Ni qu'elles viendront.

Oui, monsieur Cosma, je m'étonne....


jeudi 4 août 2011

Florence Loeb, Formentera et moi



Si j'ai toujours connu Florence, ma tante, la soeur d'Albert, mon père, je ne l'ai réellement rencontrée que dans les derniers mois de sa vie qui vient de s'achever ici, à Formentera.


Fille de Pierre Loeb, grand marchand de tableaux de l'entre deux guerres, épouse de Romain Weingarten, auteur de théâtre, dessinée par Picasso et Artaud, amie des intellectuels, poètes, acteurs, hommes de théâtre, Florence Loeb a été, et est restée jusqu'au bout une femme éprise de liberté.


Il y a quelques jours, aux côtés de deux de ses enfants, Aurélia et Raphaël, (ses deux autres filles, Isabelle et Claire n'étaient pas présentes) de mon père et de ma fille Louise, je l'ai accompagnée dans le ravissant cimetière dans lequel chaque tombe raconte l'histoire des vies originales de ces aventuriers hippies des années soixante 70 qui ont "fait" l'ile, pas loin de celles des paysannes en fichu noir aux visages burinés.


Dans son cercueil, vêtue de blanc, elle était très belle dans la mort, comme elle l'a été dans la vie.


J'ai rencontré Florence sur un lit d'hôpital à Paris, et nous avons eu un échange très fort autour de l'émotion qu'elle avait ressentie avec mon père, alors qu'elle se sentait mourante. Extraordinaire, elle s'est relevée de ce lit de mort, est rentrée chez elle, petit à petit a remarché, et a retrouvé son énergie et son panache légendaires.


Lors de ma dernière visite chez elle à Paris, elle m'a offert un manteau rose fuchsia qu'elle avait rapporté de l'un de ses nombreux voyages, et que j'ai porté à son enterrement. Devant mon enthousiasme à la vue des photos de sa magnifique maison tout récemment terminée par son fils architecte, Raphaël, elle m'a proposé de m'y inviter, puis d'y jouer mon show.


J'entendais parler de Formentera la sauvage depuis toujours, et c'était la première fois qu'elle m'y invitait. Impossible de ne pas saisir l'occasion de venir enfin découvrir sa "Casa Florencia", son petit coin de paradis!


Epaulée par Sonia Cardona, Florence a mis une partie de ses dernières énergies à organiser ma venue ici.


Je suis arrivée sur l'île alors qu'elle était tout juste partie.


Aujourd'hui, je suis heureuse et émue de venir présenter ici mon spectacle accompagnée par Sonia Rekis, hommage aux grandes figures féminines du music hall.


La représentation de ce spectacle, que je vais jouer ici, à Formentera le 10 août, lui est dédiée.


samedi 4 juin 2011

Madame Grès, sculptrice sur soie

Evidemment, il serait tentant de parler de celui qui est sur toutes les lèvres, et vraisemblablement surtout sur celles de cette femme de ménage new yorkaise à son corps défendant, cet éléphant socialiste qui trompe énormément, mais je préfère vous entretenir aujourd'hui d'une femme magnifique, drapée dans sa fierté, celle qui a sculpté la matière, en l'occurrence la soie et le jersey, j'ai nommé Madame Grès.

Quel plus beau pseudo Germaine Krebs pouvait elle choisir que celui-là? Grès, comme cette roche faite de sable facile à travailler et à scier dont sont constitués à la fois les mégalithes de Stonehenge, des stèles égyptiennes d'Amon, des sculptures chinoises ou les rampants de la cité de Carcassonne. Ce grès qui peut passer du blanc cassé à une infinité de couleurs, comme l'ocre, le jaune, l'orange, le brun, le gris et le violacé. La même palette qui était celle de Mademoiselle Alix, plus connue sous le nom de Madame Grès.

Aujourd'hui que la France semble s'intéresser, avec enfin autre chose que de la condescendance ou du mépris aux revendications égalitaires des femmes, aujourd'hui qu'éclatent au grand jour les conséquences dévastatrices qu'a le regard prédateur de certains hommes sur celles-ci, quel bonheur d'évoquer cette grande dame d'un mètre cinquante, celle qui a influencé les plus grands de Azzedine Alaïa à Yves Saint Laurent, dont le beau regard porté sur ses concitoyennes les rendait à la fois plus désirables et mystérieuses. On découvre, grâce à l'exposition sublime qui lui est dédiée au Musée Bourdelle le lien secret et évident que tissait Madame Grès avec la sculpture, sa première vocation contrariée. En effet, dans les années trente, il était de mauvaise augure de vouloir manier la massette portugaise, les pointes ou les ciseaux carbure. Faute de pouvoir tâter du marbre, Madame Grès se jeta donc sur le tissu. Dans l'exposition "Madame Grès, la couture à l'oeuvre", Olivier Saillard nouveau directeur du Musée Galliera, ze musée de la mode, dont l'oeil subtil et exigent aime autant les mots que la couture, nous donne à voir ce qui est effectivement une oeuvre, plus qu'une suite de robes. Si madame Grès n'a pu devenir sculptrice à cause des préjugés rigides liés à son sexe, elle n'en a pas moins créé une oeuvre qui évoque les statues grecques et leurs plissés savants.

Première idée géniale du nouveau directeur de Galliera, organiser des expositions hors les murs, et pour commencer celle-ci, dans laquelle il replace la reine du drapé dans un musée/atelier de sculpteur, en l'occurrence celui d'Antoine Bourdelle. On traverse un jardin, des grandes salles claires, puis on entre dans un atelier, où deux robes sont exposées sur des mannequins sans tête au milieu de masques, têtes, socles, et on est éblouis par la justesse de cette rencontre de deux mondes, de deux artistes, Bourdelle et elle. Les sculptures de Bourdelle, tout en muscles, solides, massives, dans un effet de contraste saisissant, mettent en valeur la légèreté et la force du travail de Grès et l'on mesure grâce à l'intelligence et à la pertinence du regard de Monsieur Saillard à quel point la couture est un art, et pas mineur avec ça.

Celle qui habilla de grâce Piaf, Dietrich et Garbo, les divines, disait qu'elle écoutait la matière, qui lui dictait ses gestes. Inspirée à la fois par les saris et par les kimonos, elle savait prendre le pli, accompagner un tombé, et créait des robes aussi sexy que monacales, bien loin du clinquant de mise de nos jours. La symétrie, l'asymétrie, la légèreté n'avaient pas de secrets pour elle, et sous l'apparente simplicité de ces robes se cachait un travail d'orfèvre. Comme tout grand créateur, elle avait ses paradoxes: celle qui prônait les vertus du luxe pauvre se déplaçait dans une jaguar dont l'intérieur était tendu de vison!

Si elle disait que pour elle travailler le tissu ou la pierre revenait au même, on en a la preuve éclatante dans ce parcours raffiné où le regard élégant et plein de désir de cette Madame avant gardiste offre une vision à la fois moderne, sensuelle et bourrée de références à la beauté antique, et démontre avec panache que la mode peut être autre chose que des fanfreluches, et des falbalas, faisant mentir l'autre mademoiselle, la Chanel qui disait avec son humour grinçant " la mode, ça se démode". Celle de Madame Grès est éternelle.

Il faut aller voir cette exposition dédiée à l'art, le mot n'est pas trop fort, de cette femme au caractère en acier trempé, connue pour son visage ceint d'un turban, comme Simone de Beauvoir, qui a laissé une empreinte indélébile sur la mode, comme le Castor sur des générations de nanas.

Un peu de beauté dans ce monde de brutes!


"Madame Grès, la couture à l'oeuvre" au Musée Bourdelle jusqu'au 28 août.



mardi 1 mars 2011

Les belles féministes


Les préjugés ont la vie dure. Depuis que les femmes osent l'ouvrir pour autre chose qu'avaler des couleuvres, elles se font renvoyer dans les gencives qu'elles sont moches et mal baisées.

Moches, les féministes? Il suffit de voir les beautés dont l'exposition "Photo Femmes Féminisme" offre un florilège pour se convaincre du contraire. Des beautés, il y en a. Et des sublimes. Mal baisées? Ça, c'est encore l'insulte la plus drôle! Si elles sont mal baisées, ce qui reste à prouver, par qui le sont-elles, grands Dieux? Dans les critiques récurrentes contre le discours féministe, il n'est pas rare non plus que les insultes homophobes fusent. Ce qui me fascine, c'est qu'on puisse trouver le discours d'une femme irrecevable au motif qu'elle n'est pas baisable. Par un homme, s'entend. A t-on déjà vu un homme politique se faire envoyer aux pelotes parce qu'il n'avait pas un physique avenant? Reproche t-on à Charles Pasqua ses bajoues, à Laurent Fabius sa calvitie ou à DSK son tour de taille d'éléphant? A part Dominique de ViIllepin avec sa tronche de vieux play-boy, avouez que tous les autres ne sont pas bien ragoûtants! Et personne ne le leur reproche.

Mais revenons à l'expo.

Pour encore quelques jours en plein coeur du Marais, il faut aller voir les photos et les films réunis par le fonds photo de Marguerite Durand au 22 rue Malher pour notre plus grand bonheur.

Le féminisme n'a pas un visage. Il en a cent. Deux cent, en fait. Des sacrées gonzesses. Qui ont tenu tête au système macho. Qui se sont battues envers et contre tous. Et elles sont belles. N'en déplaise aux vieux croutons, c'est pas des cageots, les suffragettes. Sur deux étages, des visages de femmes. Des tronches. Des belles gueules. La princesse Marthe Bibesco avec son turban, les yeux cernés de noir. Hortense Schneider, la Madonna de la fin du XIXème, pour laquelle Offenbach a écrit tellement de grands rôles, et qui fut la maitresse de plusieurs rois et empereurs. La Goulue, la plus célèbre des cancanneuses immortalisée par l'immense Toulouse Lautrec, posant avec sa copine Nana la sauterelle. Rosa Bonheur, grand peintre, habillée en homme comme toujours, arborant fièrement sa légion d'honneur. Hubertine Auclert, la première suffragette, la divine Nelly Roussel, et la très masculine Madeleine Pelletier, toutes deux des précurseures du féminisme. La belle Caroline Rémy, dite Séverine, une des premières femmes journaliste, qui collabore à "La Fronde", un journal féministe, cent ans avant le très pertinent "Causette", et qui militait également pour la cause animale, Brigitte Bardot avant l'heure. Frida Kahlo dans les années 50 photographiée par Gisèle Freund avec ses chiens. La jeune Marguerite Yourcenar et la vieille Colette. Et puis les grandes lesbiennes, la princesse Eugène Murat, Lucie Delarue-Maldrus, avec leurs regards forts, qui ne s'en laissaient pas compter. Françoise Sagan toute jeune, qui boit une bière au goulot, assise sur des marches en tailleur Chanel. Adrienne Monnier dans sa librairie, et Sylvia Beach, celle qui a eu les couilles de publier James Joyce dont personne ne voulait, le couple le plus littéraire des années 20. Daniel Lesueur, pseudo de Jeanne Loiseau, une femme écrivain qui avait choisi un nom de mec pour que sa prose soit lue sans condescendance, un siècle avant Fred Vargas.

Les commissaires de l'exposition ont eu la belle idée de mélanger des politiques, des militantes, des photographes, des écrivaines, et des artistes de music hall. De Sarah Bernhardt à Réjane, de Damia à Yvette Guilbert en passant par Josephine Baker. Parce qu'on peut être féministe et être la plus grande tragédienne, celle qui a remis Racine et Molière au goût du jour, comme Rachel ou se trémousser avec deux mètres de plumes sur la tête entourée de boys et chanter avec une gouaille unique comme Mistinguett. Et puis Suzy Solidor, la chanteuse à la voix grave, idole des gouines des années 30, Musidora, une des premières femmes cinéaste, Camille Claudel…. J'en passe, et des meilleures!


J'y ai aussi vu Jane Fonda, avec son français impeccable doublé d'un fort accent américain parler à Delphine Seyrig de son statut de jeune star à Hollywood et lui expliquer comment les studios formataient les filles, leur épilant les sourcils, les teignant en blondes, leur redessinant la bouche, leur imposant des faux seins jusqu'à ce qu'elles ne se reconnaissent plus dans le miroir. Jane Fonda est une de celles qui ne s'est pas laissé ainsi modeler par ces sauvages. Si eux Tarzan, elle Jane!

En sus, une info sympathique: le 8 mars, l'expo est gratuite pour toutes…. et tous! Comme quoi, elles ne sont pas rancunières, les féministes!


Comme la bande son de cette expo: Pierre Philippe et Juliette Noureddine ont signé une chanson que j'ai le bonheur de chanter, "rimes féminines"… dans mon show "Mistinguett, Madonna et Moi!" toujours en tournée...

lundi 14 février 2011

Vous avez dit Saint Valentin?




Saint Valentin. La fête des amoureux. Partout, l'amour, toujours. Et qu'on se fait des petits cadeaux trop mignons, et qu'on se jette des fleurs, et que tout ça sent bon le chocolat et la rose. Mouais… Comme c'est curieux, comme c'est étrange. Mais d'où vient donc cette fête, et qui est ce Valentin dont on nous rebat les oreilles depuis 15 jours? Comme pour toutes les célébrations récupérées par le calendrier catholique, Saint Valentin était au départ une fête payenne. Depuis la plus haute antiquité, à la mi février, c'était la période où l'on célébrait les fêtes de la fertilité, et la Saint Valentin était, avant le Moyen Age, la fête des célibataires et de l'amour physique.

Il n'y a pas un Saint Valentin, mais au moins deux: saint Valentin de Rome et Saint Valentin de Terni, tous deux martyrs au IIIème siècle. Au fil du temps, la fête de la fertilité s'est transformée en ode au couple et à l'amour avec des grands Ahhhhhhh. Que les choses soient claires, l'amour, j'ai rien contre. Ou alors tout contre, pour paraphraser Sacha Guitry. C'est vrai que l'amour donne des ailes, et qu'on préfère dire M que N.

Mais alors pourquoi est-ce qu'en en 1969 (ça ne s'invente pas) l’Église a-t-elle ôté le jour de la Saint-Valentin de son calendrier officiel? Officiellement c'est dans le souci d’épurer le calendrier catholique de tous les saints légendaires. Vous avez dit 69, année érotique?


Ne serait-ce pas plutôt parce que les hommes de robe le savent très bien que l'amour, c'est pas Disneyland et cui-cui les petits oiseaux? Aujourd'hui, 14 février, on ne voit que cupidons qui bandent leur arc faute d'autre chose, petites fleurs bleus, chocolats en forme de coeur décorés de guirlandes avec angelots ad hoc et autres gnougnouteries débilitantes. Plus cul-cul la praline, tu meurs. Déjà, faites l'amour pas la guerre et ce genre de niaiseries, personnellement ça me soulève le coeur, que j'ai pourtant bien accroché. Petite piqure de rappel des grandes histoires d'amour qui nourrissent nos fantasmes depuis des siècles. C'est encore les Rita Mitsouko qui l'ont dit le mieux: les histoires d'amour finissent mal, en général. Adam et Eve? La pomme d'amour leur couta leur place au paradis. Tristan et Yseult? suicidés. Roméo et Juliette? idem. Sacher Masoch? Il aurait été bien désespéré sans le divin marquis de Sade qui lui donna sa raison d'être. Heloïse et Abelard ont payé le prix fort de leur passion puisque lui s'est retrouvé eunuque et elle euuuuuuu nonne. Marlene Dietrich n'a plus jamais vu la vie en rose après le départ de son Jean, Gabin. Gainsbourg a eu du bol, pour se consoler de BB, de tomber sur Jane B, qui elle même se remettait mal du départ de John B. Oscar, le plus wilde des écrivains anglais a payé cher sa passion pour Bosie, Alfred Douglas, avec lequel il s'est pris une tôle, pour de vrai. Et Dante visitera tous les cercles de l'enfer à la mort de sa divine Béatrice.

Non. "Il n'y a pas d'amour heureux", pour citer Louis Aragon l'amoureux fou d'Elsa, chanté par Brassens, entre autres. Car enfin, il n'y a qu'aux petits enfants naïfs, qu'à ceux qui croient encore au père Noël qu'on fait gober pareilles fables qui se terminent par "ils se marièrent, furent heureux et eurent beaucoup d'enfants". Déjà, pour imaginer que le bonheur c'est se farcir une dizaine de moutards, il faut beaucoup d'imagination. Ou un bon dealer. Allez donc dire à une mère de famille qui profite de ses heures creuses et de ses dimanches pour faire le ménage à fond, des machines au Lavomatic, le repassage de la semaine, et vérifier les devoirs des petits que c'est Alice au pays des merveilles! C'est plutôt des mères vieilles prématurément, qu'elles deviennent, les meufs, à se taper l'intendance d'une famille nombreuse. Et c'est pas les crèmes anti-âge qui y pourront grand chose. Certes, il y a des couples qui durent. Villeroy et Boch, Roche et Bobois, Eric et Ramzy, Laurel et Hardy, Hardy et Dutronc. Mais à quel prix? On trouve un canapé très bien, le lit calisson à 1990€ chez Roche et Bobois et Eric et Ramzy sont actuellement disponibles pour le prix modique d'une place de cinéma. Mais je m'égare…

C'est dans les larmes de leur passion que George Sand et Musset ont écrit leurs plus belles pages, et dans le sang que les amants terribles de "L'empire des sens" terminent leur vertige de l'amour. (Ils avaient dû rêver trop fort.) C'est dans la folie que se termine la passion de Dora Maar pour Picasso, son minotaure, et dans le désespoir que se termine celle de Léo Ferré pour Pépée, sa guenon, humaine, trop humaine.

A l'image de l'inquiétant Robert Mitchum dans "La nuit du chasseur" qui avance avec les lettres LOVE sur la main droite, au nom de l'amour combien de meurtres, sous le joli nom de crimes passionnels ont-ils été commis?

Certes chez Violette Leduc, Thérèse et Isabelle s'aiment passionnément, mais comme le dit Gainsbourg dans initiales BB, "l'amour physique est sans issue".

En cette journée qui dégouline de bons sentiments, où il n'y aura sûrement pas que le sucre d'orge qui coulera dans la bouche d'Annie, rappelons nous que l'amour c'est pas tous les jours "la vie en rose", que ça peut vite basculer dans "noir c'est noir, il n'y a plus d'espoir", que les passions sont fatales, et nos amours défuntes.

Mais au fait… C'est quoi l'amour? C'est donner ce que l'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas? Alors autant s'offrir des chocolats et de fleurs….

Et toi, tu aimes? Moi non plus.

samedi 5 février 2011

Maria S, tango stupéfiant



Maria Schneider est morte. C'est le cancer qui l'a pris sous son bras. Si Marcia Baila, Maria, elle ne danse plus. De toute façon, dansante, elle ne l'a pas vraiment été, sa vie. Plutôt douloureuse, celle de cette beauté sauvage et insolente du début des années 70. Déjà, elle n'est pas reconnue par son père qui lui, est connu. Bonjour le départ dans la vie. Puis, après quelques balbutiements dans le cinéma, et grâce, ou à cause de l'intérêt que lui porte BB, Brigitte Bardot, c'est dans l'oeil de BB, l'autre, Bernardo Bertolucci qu'elle tape. "Le dernier tango à Paris", avec Brando, un homme nommé désir. Impossible d'arriver plus haut plus vite. Début, 70, l'époque est à la transgression et à la libération sexuelle. "Passe moi le beurre". Scène culte s'il en fut. "Passe moi le beurre" que je t'encule et que je te flingue ta vie. On apprend, avec sa mort, qu'il aurait aimé lui demander pardon, BB. Ah oui? De quoi? De l'avoir violée avec sa caméra et son acteur devant le monde entier? Il ne pouvait pas faire son mea culpa avant, Bernardo? Comme celui de Zorro, muet qu'il était? C'était si difficile que ça de l'ouvrir et de lui demander pardon de son vivant? Maria Schneider a dit, avec pudeur, que dans la scène, c'étaient ses vraies larmes. A lire les regrets de Bertolucci devant son cadavre, on en a froid dans le dos. Si les larmes étaient vraies, qu'est-ce qui était donc simulé dans cette scène de viol? Ils se sont amusés à quoi le grand acteur et son réalisateur libertaire? A sodomiser une jeune fille de 19 ans devant une équipe de cinéma, puis à la jeter en pâture au monde entier? Sans jamais être inquiétés? Ça, c'est des artistes! Ça, c'est des mecs! Bertolucci, il a fallu qu'il attende qu'elle crève après une vie saccagée par cette scène pour faire des excuses? ! C'est un peu fastoche, non? On lit partout sa descente aux enfers, à la belle Maria, malgré le magnifique film d'Antonioni avec Nicholson. Qu'elle a pris de la coke, de l'héro, qu'elle a été en taule, en HP et qu'elle s'est beaucoup perdue. C'est étonnant comme les symptômes qui suivent un viol sont invariablement les mêmes. Drogue, alcool. Parfois prostitution. En tout cas, ce qui est certain c'est que les filles, et les types (c'est plus rare), sont dépossédés à jamais de leur corps. Un viol, ça laisse des traces indélébiles. S'il y a prescription pour les violeurs, il n'y a pas prescription pour les violées. Les séquelles, c'est à vie, qu'elles/ils se les trimballent.

D'aucuns diront, que c'était chouette, cette période de libération sexuelle! Que c'était le bon temps. L'époque pré sida et tout ça. Mais il n'y a pas que le sida qui fait des morts. Sous couvert de libération sexuelle, des gens super libérés ont commis des crimes.

J'entends déjà ceux qui trouvent toujours suspecte une femme qui dit qu'elle a été violée :"Elle l'a bien voulu. Personne ne l'a obligée à le faire, ce film!" Certes. Mais personne ne lui avait dit qu'elle allait l'avoir dans le cul non plus!

Ils sont beaux à se damner, M & M, Maria et Marlon. Leur couple crève l'écran. Mais si c'est Brando qui crève dans le film, c'est elle qui est sacrifiée dans la vraie vie et son personnage de Jeanne la crame à jamais. Et si dans la fameuse scène, Brando met du beurre, Betolucci, c'est bien à sec qu'il l'a enculée. Et en Technicolor avec ça!

Il a bon dos, le cancer.


mercredi 26 janvier 2011

ô jeunesse ennemie...


Olivier Saillard, désormais directeur du Musée Galliéra, le musée de la mode, régale les happy few de la mode deux fois par an avec des performances ultra chics et d'une intelligence sans faille. Pendant les deux Fashion weeks annuelles et avec la collaboration indéfectible et élégante de Violeta Sanchez, l'une des mannequins les plus emblématiques et les plus particulières des années 80, l'égérie de Helmut Newton, David Seidner et Yves Saint Laurent, (rien que ça!), il nous offre dans un show d'une demie heure, une mise en abime brillante de la mode et de sa vacuité. Hier 25 janvier, comme à l'accoutumée, nous avons eu droit à un sacré lifting mental! A la lecture du carton et de son intitulé "O tempes suspends ton vol" imprimé sur une feuille d'agenda arrachée, comme chaque journée qu'on tente de voler au néant, on avait compris qu'il y serait question de temps, de vieillesse, de jeunesse… Comment ne pas paraphraser Corneille pour s'écrier "Ô rage, ô désespoir… Ô jeunesse ennemie…."

Devant un parterre de ce qui se fait de plus raffiné dans le petit monde de la mode, de Christian Lacroix à Clara Saint en passant par Dominique Isserman, définitivement accros à ces rendez vous, on découvre sur le sol en béton gris, des gazes blanches qui nous dissimulent des objets. Un assistant lève le voile. Ce sont des protège visages au bout d'un manche, tout ça en plastique, recouverts d'impressions de photos en noir et blanc qui en épousent la forme. Sous chaque masque est posée une feuille sur laquelle est écrit le texte subtil et désopilant qui sera lu tour à tour par Olivier et Violeta. Celui qui ne lit pas, tient le masque devant son visage et se tourne avec grâce pour le montrer à l'assistance, pliée de rire. Les textes d'Olivier sont, comme toujours, des bijoux d'élégance et de malice, et ses phrases tranchantes comme des scalpels. Il se moque avec cruauté et humour noir, la couleur qu'a lancée Yves Saint Laurent, des méfaits de la chirurgie esthétique. Il est question de bouches et nez en cagettes, de haute suture et autres trous de bouche en canard WC… On est aux anges. Dans l'assistance, celles et ceux qui ont eu recours aux seringues et/ou aux bistouris sont nombreux; comme ils savent qu'il n'y a rien de tel pour remonter le visage qu'une bonne rigolade, ils s'en donnent à coeur joie. Le temps de la performance, Olivier Saillard nous expédie la chirurgie esthétique et ses dérives désolantes. S'il commence par nous rappeler ce que celle-ci doit aux gueules cassées de 14-18, il brode ensuite sur ce que ces nouveaux visages en série nous renvoient comme image de nous formatées, lisses, et surtout désespérément stupides. Olivier d'évoquer Jeanne Moreau, à la bouche mythique et sublimement dédaigneuse, la Casati, photographiée par Man Ray, avec ses quatre grands yeux charbonneux, la Magnani aux belles rides de douleur et l'angoissant Michaël Jackson avec son nez pincé de pince à sucre obsolète.

Les grandes cramées du bistouri peuvent numéroter leurs abatis. Elles sont laminées par la prose proche du haïku dite avec grâce par Violeta dont le nez unique a changé la face de la Haute Couture.

C'est un défilé de tronches mais aussi de citations littéraire, de "Confessions d'un masque" de Mishima à "La peau de chagrin" de Balzac et si Olivier tire à bout portant, son show est lui, tiré à quatre épingles.

Le divin Olivier de conclure en citant Coco, la grande Mademoiselle au visage ridé comme une vielle pomme et à la moue hautaine " Il n'y a rien de plus vieillissant que de vouloir rester jeune". CQFD!

Un vrai moment d'art moderne.

Comme le dit Paquita Paquin, qui se précipite, comme nous tous, en coulisses pour embrasser les deux performers: "Tu as épuisé le sujet". S'il l'a épuisé, s'il a bien fait les coins, nous, nous sommes rajeunis de dix ans devant de tels assauts d'esprit et de culture. On se sent renaître cet après midi froid, et on se dit que 2011 commence sur des chapeaux de roue! Question niveau, il a mis la barre haut.

Mais ce mardi, le plus navrant, ça n'étaient ni les faux nez ni les bouches repulpées. Mais bien les faux culs. Et ceux là, aucun bistouri n'y peut mais.

mardi 18 janvier 2011

Féroces



Charmants. Ils sont charmants, les parents de Robert Goolrick. Féroces. Ils sont féroces. Ils abusent. Ils abusent de cocktails sophistiqués dans la belle maison dans laquelle ils accueillent leurs voisins ou leurs relations pour des diners ou des verres mondains. Ils abusent de bonnes manières dans leurs costumes en tergal et leurs robes fleuries en popeline. A la manière des personnages élégants et tirés à quatre épingles de "Mad men", la série culte, ils abusent de clopes, et finissent par en crever, de tous ces abus. Dans ce magnifique livre, Robert Goolrick commence par ça. La mort. Celle de ses parents. Avant de décrire avec une précision glaçante comment ils l'ont assassiné quand il était enfant. Ça commence par la boite dans laquelle il tient les cendres de son père. Ça commence par l'état de déchéance pathétique dans lequel sont ces deux parents qui ont abusé. Malades, grabataires, des épaves physiques et morales. Des pauvres choses détruites et amères. Lui, Robert Goolrick, celui auquel on a volé son enfance et sa vie ne l'est pas, amer. Il est lucide, il est implacable. Il est drôle aussi. On imagine la souffrance qu'il a fallu surmonter pour réussir à être léger en racontant ce qu'il raconte avec cette apparente distance.

Ses parents étaient féroces. Atroces aussi. Atroces, ces faux semblants, cette hypocrisie et leurs cocktails mondains toujours trop arrosés qui cachaient un secret. Un secret atroce. Le talent puissant et subtil que déploie Robert Goolrick parvient à nous amener progressivement à comprendre la violence dont il a été l'objet. Objet. Il devient l'objet de ses parents élégants et lisses. De ces parents beaux, tout droit sortis d'un de ces films des années 50 en Technicolor où les grandes familles américaines jouissent gaiement de l'american way of life. Quand on regarde ces films aujourd'hui, on leur trouve un charme fou. Le Technicolor a rendu ses couleurs, qui ont passé, mais tout le mode a l'air si heureux. Elle est comme ça l'enfance de Robert Goolrick. Comme un film en Technicolor sauf qu'on a juste envie de gerber en le regardant.

C'est l'histoire d'un abus, niché dans une famille normale. Et l'auteur nous décrit comment toute sa vie il se débat pour juste y survivre.

Goolrick regarde en face ce qui a fait de lui un monstre de douleur, un homme qui se taillade les veines tout seul dans des chambres d'hôtel sordides pour se faire jouir, au risque d'y laisser sa peau.

"Féroces", est un grand livre. C'est un livre sur la famille. C'est un livre sur l'inceste.

C'est un livre qu'on n'oublie pas quand on l'a refermé.