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lundi 3 octobre 2011

ET J'ENTENDS SIFFLER LE TRAIN ....


Dieppe, son château, sa plage, ses galets. Son Festival de cinéma.

Depuis quatre ans une équipe passionnée invite le public et les professionnels à son festival au bord de la plage. C'était ce week-end. J'en sors. Je suis rincée.

Neuf films, cinq prix (des galets recouverts d'or à la feuille), six membres du jury, et un Président du jury.

Des films très différents, de la poésie, de la gravité, des enfants, des morts, un hommage au cinéma, un voyage en Iran, une belle actrice dans une grand rôle filmée par un réalisateur inspiré… Toute une palette d'images et d'émotions…. Jusque là, tout est normal. C'est la première fois que je me retrouve membre d'un jury, et je m'en réjouis. Je suis marxiste tendance Groucho, ma religion, comme Woody Allen, c'est l'art, j'ai une passion pour le cinéma, et en débattre avec d'autres passionnés promet de l'être, passionnant. Ce fut saignant.

Déboule un ovni: "Bovines", une heure sur des vaches qui broutent, qui dorment, qui broutent, qui se promènent, qui broutent, qui ruminent, qui broutent... Elles ne regardent même pas les trains passer.

Pendant les délibérations, je suis stupéfaite d'entendre voler des propos d'une misogynie qui me laissent sans voix. Corinne Masiero, l'actrice qui tient de bout en bout "Louise Wimmer" est une vraie comédienne avec une gueule, à mille lieues des filles au physique interchangeable et au narcissisme stupide, une grande gigue qui a une densité et une justesse peu communes, dont le sourire généreux éclaire soudain l'écran. Heureusement je ne suis pas la seule à être émue par elle et par le film de Cyril Mennegun qui lui a offert, la filmant au plus près avec délicatesse, un rôle fort. On se bat pour qu'elle obtienne un prix d'interprétation, continuant à essuyer les commentaires désobligeants de certains membres du jury. Tel le plus beauf des réactionnaires, il semblerait que certains jugent de l'éligibilité d'une comédienne sur ses mensurations. Ok. La misogynie, on connait, on ne s'habitue jamais, mais on connait…. Rien de nouveau sous le soleil.


Vient le débat sur "Bovines". Un film contemplatif et beau, profond, qui nous embarque dans le temps des vaches, un temps près de la nature, sans musique, en gros plans tendres et paysages embrumés où vivent ces animaux placides. Une heure sur les vaches, et c'est tout? Non, évidemment. Il y a une dramaturgie subtile dans le film. Les vaches mettent bas, on reste avec elles, avec les veaux qui les suivent, les tètent, passant goulument d'un pis à l'autre, la tendresse de leurs grosses langues léchant le placenta.

Et l'homme arrive. Ou plutôt les hommes: un couple d'éleveurs et leur enfant qui tient une baguette en bois pour mener les vaches… à l'abattoir. Des gros plans des numéros agrafés à leur oreille, un plan noir un peu insistant, suivi d'un plan de brouillard, il n'en faut guère plus pour que la référence à "Nuit et brouillard" d'Alain Resnais ne me saute au visage. D'autant que dans la deuxième moitié du film, le tracteur qui vient chercher les animaux, inquiétant, sort d'un chemin sombre, tel le train de l'horreur filmé par Claude Lanzmann… En creux, avec subtilité, on voit la mort se profiler. On repense au "Sang des bêtes" de Franju, redoutant la violence des images d'abattoir. Il n'en est rien. On voit les vaches pleurer quand elles voient leurs petits se faire emmener, on entend la paysanne lâcher, opaque, "Ce sont des mères tout de même"… et tout est dit.

Après le bras de fer avec mes collègues du jury pour le prix d'interprétation, il faut lâcher Bovines. Soit.

Nicolas, le jeune président du festival me l'a dit à mon arrivée à Dieppe: ici, pas de frime. C'est un Festival qui aime d'avantage le cinéma que le tralala qui l'entoure. On a beau être au bord de la mer, on n'est pas à Cannes, l'enjeu n'est pas le même, il n'y a pas de stars liftées et de gros producteurs à cigare, il me glisse que je peux me sentir libre dans mes positions, et qu'on est là pour le plaisir. Il ne faut pas me le dire deux fois.

Quelques instants avant la cérémonie de clôture, j'entraine sur la plage l'autre femme du jury, Agnès Mouchel, monteuse émérite, afin que l'on choisisse un petit galet que l'on remettrait à Emmanuel Gras, le réalisateur sensible de "Bovines". Un coup de coeur, un clin d'oeil amusant, un brin frondeur… Pas de quoi en faire un fromage. Une fois les prix remis aux uns et aux autres, présentés avec charme et humour par la délicieuse Nadine de Gea, je prends le micro et remets le petit galet que j'ai choisi parce qu'il y avait un signe "peace and love" à l'intérieur. Je fais monter le réalisateur, sous les applaudissements du public qui lui aussi a aimé le film. Et là, ça part en vrille. Un des membres du jury ivre de rage prend à son tour le micro et se met à insulter le réalisateur; il a détesté le film, ce qui ne nous avait pas échappé lors des délibérations. Le président du jury, Vladimir Cosma, blême, sort avec mépris un spray Riqlès de sa poche et fait mine de me le donner, pour me signifier que mon galet n'a aucune valeur, puis me balance "après, tu t'étonnes qu'il y ait de l'antisémitisme". Je suis sidérée.

Ah la vache! C'est énorme. Oui, Loeb c'est un nom juif alsacien. Oui, mon grand père paternel a pris le dernier bateau de Marseille pour fuir les nazis. Oui, quand il est rentré de la Havane où il a attendu la fin de la guerre, le galeriste qui devait lui garder sa galerie, puis la lui rendre à son retour n'a pas voulu obtempérer, et c'est Picasso qui est monté au créneau, appelant le malotrus et d'une phrase lapidaire, "Pierre est rentré", forçant celui-ci à une attitude digne.

Mais j'avoue que je n'ai jamais personnellement été confrontée à l'antisémitisme. Ça ne fait pas partie de mon paysage mental. Pardon monsieur Lanzman pour le calembour limite, mais j'ai d'autres Shoah à fouetter...

La réflexion de Cosma me cueille. Un moment l'idée que c'est de humour noir pince sans rire m'effleure. Si c'est de l'humour, ça n'est en tout cas pas de l'humour juif. L'humour juif, je connais: c'est drôle. Là, ça ne l'est pas. Naïve que je suis. Il répète cette réflexion désopilante au membre du jury soupe au lait qui s'est insurgé contre mon geste que je voulais sympathique et marrant, nullement consciente des vagues de haine que provoquerait ce minuscule galet. Un caillou dans la mare.

Il persiste et signe, le grand compositeur: juive. Voilà ce que je suis. Il ne faut pas que je m'étonne s'il y a de l'antisémitisme. (sic). Comme disait Dorothy Parker, "sic as a dog". Si son homophone Joseph Kosma a fui le nazisme en 1933, monsieur Cosma qui a signé la musique de "Rabbi Jacob" aurait donc des points communs avec le personnage joué par Louis de Funès? Et je ne parle pas de sa drôlerie.

Avec un visage lisse, ses yeux bleus vrillés dans les miens, la mâchoire crispée, il me ramène au film sombre de Resnais.

C'est la cérémonie de clôture, on attend le bouquet final. Les commentaires de la journée, misogynes, racistes, et enfin antisémites s'accumulent pour finir en gerbe finale.

Il paraît que j'aurais du prévenir notre président du jury de ma folle audace. Il paraît qu'il y a eu crime de lèse majesté. Il paraît que j'aurais pu lui présenter des excuses.

En l'espèce, s'il y a des excuses à faire, ce n'est pas de moi qu'elles doivent venir. Ni qu'elles viendront.

Oui, monsieur Cosma, je m'étonne....


5 commentaires:

  1. Quelles couilles, cette Caroline! J'adore. Bravo!!!

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  2. our Jean Louis Bompoint, qui n'arrive pas poster son message, le voilà:

    Ayant lu avec intérêt le texte de Caroline LOEB, je souhaiterais pouvoir m'exprimer à mon tour,, sur ce qui s'est réellement passé, en ce qui concerne la petite polémique autour du "documentaire contemplatif" : "BOVINES", lors du Festival International du Film de Dieppe, où nous étions membres du Jury. Ce n'est pas facile, quand on est cinéa ste, que d'être juré dans une manifestation, aussi sympathique soit-elle, où l'on vous demande de récompenser ou non, le travail d'un confrère. C'est difficile, parce que "tous les professionnels de la profession" savent quel efforts, souvent inouïs, doit-on fournir, et quelle énergie doit être dépensée, pour espérer voir un jour, son film achevé, pour enfin être distribué / di ffusé, dans les salles ou à la télévision. En cela, lorsqu'un film existe, et quel qu'il soit : en ce qui me concerne, ma première idée reste toujours de rendre hommage à son Auteur, pour sa pugnacité et son courage.. Vient ensuite le fait d'avoir accepté la règle du jeu d'un jury cinématographique : Vous voilà convié à un cercle très privé, sous la responsabilité d'un président, où chacun doit s'exprimer selon ses convictions, comme sur les films en compétition ; le tout, en vue de constituer un palmarès de récompenses.Dès lors, le débat s'engage et les opinions contradictoires fusent de toutes parts, afin de départager les concurrents. C'est le jeu de la Démocratie. Une fois les passions, les pamphlets virulents, comme les coups de cœur enflammés de chacun, apaisés : le président compte le nombre de votes favorables ou défavorables sur les films à juger, le palmarès est constitué de manière définitive, et sa composition n'est plus à remettre en question par quiconque. J'ai le regret de dire aujourd'hui, que cela ne s'est pas passé comme tel, lors du Festival de Dieppe, au sujet du film "BOVINES", qui a été écarté du cénacle des récompenses sur décision collégiale, et qui, de par ce fait, ne devait pas être mis à l'honneur, lors de la remise des prix. En effet, déçues de ne pas voir "BOVINES" mis au pinacle sur le banc des récompenses, deux membres du jury : Agnès MOUCHEL et Caroline LOEB, ont décidé, sans aucunement avertir : ni les autres membres du jury, ni son président, ni la direction du festival, d'attribuer de leur propre chef, comme en public, un prix supplémentaire à leur "film chéri". À ce compte-là, et si l'on suit la grossièreté du procédé, pourquoi tel(le) ou tel(le) autre membre du jury, voire son Président, ne se serait-il/elle, pas permis de faire la même chose, en méprisant l'ordre établi, de la manière la plus anticonstitutionnelle qui soit ?. .. Voilà ce qui m'a mis en colère, (mais je ne reste pas le seul...), lorsque ces suffragettes ont voulu prendre un pouvoir, auquel elles n'avaient pas droit, et que l'usurpateur de "prix", a crû bon de monter sur la scène, pour recevoir un trophée qu'il n'avait pas mérité ; dû moins, dans le cadre du Festival de Dieppe. Et c'est en cela, qu'après m'être exprimé en public sur cet état de fait ; en disant notamment au réalisateur de "BOVINES" : "qu'il était un voleur", que celui-ci, en guise de toute réponse, m'a déclaré : "Monsieur BOMPOINT : je vous emmerde !". Désolé, Monsieur GRAS, (qui portez bien votre nom, comme moi, le mien...) : N'est pas Jean VIGO qui veut !.. Or donc, que l'on ne vienne pas écrire, que c'est moi, qui ai injurié cet opportuniste de mauvais aloi, tant je pourrais à mon tour me porter autant en victime, qu'en membre d'un jury bafoué... Quand à vous, belles dames : c'est en créant ce genre de conflits, que vous pouvez peut-être, aussi, provoquer certaines réactions misogynes que vous semblez encore déplorer...

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  3. suite et fin:
    Enfin, comme pour conclure sur la suite de ce petit incident de parcours : je souhaiterais citer cette belle phrase, que Georges LAUTNER a inscrit en tête du générique de son film : "LA VALISE", et qui, de mémoire, disait à peu près : "Dans notre équipe, il y a des catholiques, des protestants, des juifs, des noirs, des blancs, etc... Nous sommes tous des amis, et nous comptons bien le rester !". Merci de votre attention, bonne continuation à tous, et rendez-vous à l'année prochaine, pour un nouveau festival de Dieppe, en n'oubliant pas de courir voir notre grand prix : "LES GÉANTS" de Bouli LANNERS ! Jean-Louis BOMPOINT

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  4. C'est dingue cette histoire. Terrifiant!
    Et ça se passe dans notre beau pays. Pauvre pays. Misérables personnes de cinéma.

    Ceci dit, votre intervention "galet simple" contre "galet à la feuille d'or" est a-sociale, à mon sens.

    Je parle en connaissance de cause ayant l'an dernier été présidente d'un jury pour le jeune cinéma lors d'un Festival en Espagne. Et je ne m'étais pas fait des amis!

    Isabelle

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