Evidemment, il serait tentant de parler de celui qui est sur toutes les lèvres, et vraisemblablement surtout sur celles de cette femme de ménage new yorkaise à son corps défendant, cet éléphant socialiste qui trompe énormément, mais je préfère vous entretenir aujourd'hui d'une femme magnifique, drapée dans sa fierté, celle qui a sculpté la matière, en l'occurrence la soie et le jersey, j'ai nommé Madame Grès.
Quel plus beau pseudo Germaine Krebs pouvait elle choisir que celui-là? Grès, comme cette roche faite de sable facile à travailler et à scier dont sont constitués à la fois les mégalithes de Stonehenge, des stèles égyptiennes d'Amon, des sculptures chinoises ou les rampants de la cité de Carcassonne. Ce grès qui peut passer du blanc cassé à une infinité de couleurs, comme l'ocre, le jaune, l'orange, le brun, le gris et le violacé. La même palette qui était celle de Mademoiselle Alix, plus connue sous le nom de Madame Grès.
Aujourd'hui que la France semble s'intéresser, avec enfin autre chose que de la condescendance ou du mépris aux revendications égalitaires des femmes, aujourd'hui qu'éclatent au grand jour les conséquences dévastatrices qu'a le regard prédateur de certains hommes sur celles-ci, quel bonheur d'évoquer cette grande dame d'un mètre cinquante, celle qui a influencé les plus grands de Azzedine Alaïa à Yves Saint Laurent, dont le beau regard porté sur ses concitoyennes les rendait à la fois plus désirables et mystérieuses. On découvre, grâce à l'exposition sublime qui lui est dédiée au Musée Bourdelle le lien secret et évident que tissait Madame Grès avec la sculpture, sa première vocation contrariée. En effet, dans les années trente, il était de mauvaise augure de vouloir manier la massette portugaise, les pointes ou les ciseaux carbure. Faute de pouvoir tâter du marbre, Madame Grès se jeta donc sur le tissu. Dans l'exposition "Madame Grès, la couture à l'oeuvre", Olivier Saillard nouveau directeur du Musée Galliera, ze musée de la mode, dont l'oeil subtil et exigent aime autant les mots que la couture, nous donne à voir ce qui est effectivement une oeuvre, plus qu'une suite de robes. Si madame Grès n'a pu devenir sculptrice à cause des préjugés rigides liés à son sexe, elle n'en a pas moins créé une oeuvre qui évoque les statues grecques et leurs plissés savants.
Première idée géniale du nouveau directeur de Galliera, organiser des expositions hors les murs, et pour commencer celle-ci, dans laquelle il replace la reine du drapé dans un musée/atelier de sculpteur, en l'occurrence celui d'Antoine Bourdelle. On traverse un jardin, des grandes salles claires, puis on entre dans un atelier, où deux robes sont exposées sur des mannequins sans tête au milieu de masques, têtes, socles, et on est éblouis par la justesse de cette rencontre de deux mondes, de deux artistes, Bourdelle et elle. Les sculptures de Bourdelle, tout en muscles, solides, massives, dans un effet de contraste saisissant, mettent en valeur la légèreté et la force du travail de Grès et l'on mesure grâce à l'intelligence et à la pertinence du regard de Monsieur Saillard à quel point la couture est un art, et pas mineur avec ça.
Celle qui habilla de grâce Piaf, Dietrich et Garbo, les divines, disait qu'elle écoutait la matière, qui lui dictait ses gestes. Inspirée à la fois par les saris et par les kimonos, elle savait prendre le pli, accompagner un tombé, et créait des robes aussi sexy que monacales, bien loin du clinquant de mise de nos jours. La symétrie, l'asymétrie, la légèreté n'avaient pas de secrets pour elle, et sous l'apparente simplicité de ces robes se cachait un travail d'orfèvre. Comme tout grand créateur, elle avait ses paradoxes: celle qui prônait les vertus du luxe pauvre se déplaçait dans une jaguar dont l'intérieur était tendu de vison!
Si elle disait que pour elle travailler le tissu ou la pierre revenait au même, on en a la preuve éclatante dans ce parcours raffiné où le regard élégant et plein de désir de cette Madame avant gardiste offre une vision à la fois moderne, sensuelle et bourrée de références à la beauté antique, et démontre avec panache que la mode peut être autre chose que des fanfreluches, et des falbalas, faisant mentir l'autre mademoiselle, la Chanel qui disait avec son humour grinçant " la mode, ça se démode". Celle de Madame Grès est éternelle.
Il faut aller voir cette exposition dédiée à l'art, le mot n'est pas trop fort, de cette femme au caractère en acier trempé, connue pour son visage ceint d'un turban, comme Simone de Beauvoir, qui a laissé une empreinte indélébile sur la mode, comme le Castor sur des générations de nanas.
Un peu de beauté dans ce monde de brutes!
"Madame Grès, la couture à l'oeuvre" au Musée Bourdelle jusqu'au 28 août.
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