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jeudi 28 janvier 2010

MODE & VANITE


C'est la Fashion Week. Eh oui, c'est comme ça qu'on dit quand on "est" à la mode! On dit en anglais des mots qui se diraient tout aussi bien en français. C'est vrai, "la semaine de la mode", c'est tout à fait intelligible, et ça ne fait pas particulièrement plouc! Mais non. C'est bien la Fashion Week!

La mode fait bon ménage avec les vanités. (Définition de Wikipédia: Une vanité est une catégorie particulière de nature morte dont la composition allégorique suggère que l'existence terrestre est vide, vaine, la vie humaine précaire et de peu d'importance. Très répandu à l'époque baroque particulièrement en Hollande, ce thème de la vanité s'étend à des représentations picturales comprenant aussi des personnages vivants comme Les Ambassadeurs d’Holbein).

Aujourd'hui que le motif tête de mort est devenu aussi courant que celui de la marguerite ou du nounours, aujourd'hui qu'on a la très nette sensation d'avoir tout vu, tout bu, que la chair est triste et qu'on a lu tous les livres, Olivier Saillard, accompagné par la divine Violeta Sanchez nous donne une leçon de poésie, d'humour, et d'élégance. L'élégance est dans la pensée. E cosa mentale.


Nous sommes dans un des petits salons du théâtre de l'Odéon. Salle Roger Blin. Ce même Roger Blin qui a créé "En attendant Godot" il y a un demi siècle. Sous les dorures, deux grands portraits de femmes. Des actrices. A jardin, comme on dit au théâtre, Phédre, l'amoureuse tragique. A cour, Celimène, la frivole, et sur un des murs de côté, un portrait ovale de Racine. Rien que ça. Ça ne rigole pas.

Pas encore. Pour l'heure la crème du gratin de la mode s'embrasse, se hèle, se fait des signes entendus. On en est. On y est. A l'événement le plus chic de cette fameuse Fashion Week.

Le spectacle, car c'en est un, que vont nous donner à voir Violeta Sanchez, mannequin au physique unique, toute anguleuse, au nez tellement particulier, sublime, plus classe tu meurs, qu'à côté d'elle Claudia Schiffer ressemble à une crémière, et Olivier Saillard, l'éminence grise du Musée des Arts Déco relève un peu de l'absurde beckettien. Si ce n'est que dans les textes de Saillard, il y a une malice, une tendresse, un culot juste ce qu'il faut jubilatoires.


Le carton annonçait "Vêtements de rien". C'est tout.

Sur scène, deux grands sacs en toile blanche. L'on comprendra vite qu'il y en a un qui est plein, et dont le contenu remplira progressivement l'autre, au fur et à mesure que les vêtements en seront tirés, montrés, décrits, puis rangés à nouveau avec délicatesse.

Que font donc Olivier et Violeta? Ils nous montrent des vêtements. Pas n'importe lesquels. Ce sont des vêtements qui ont vécu. Qui ont des heures de vol. Des vêtements avec des pièces, des trous, des rajouts. Les pièces, les raccommodages ne sont pas discrets. Ils SONT le vêtement. Des vêtements qui ont été chinés, puis collectionnés par des passionnées, comme Françoise Dupas, Alexandra et Emilie Sénes.

Les textes, dits soit par elle, soit par lui, sont des bijoux de drôlerie. Olivier, en poétisant ces vêtements de travail littéralement usés jusqu'à a corde, taille un costard à la mode. "surproduction de la mode", "libéré de toute question de représentation", "motif en trompe l'oeil de toison pubienne", "pattes d'aisance sodomites", "bord côte qui n'est pas d'azur", "broderie pied de nez à Mr Lesage", "point zig zag après pastis", "bas relief du quotidien", "subclaquant", j'en passe et des meilleures.

On aimerait noter toutes les phrases tellement les trouvailles sont merveilleuses.

Violeta vêtue d'une blouse noire, comme ces marionnettistes japonais dont elle a les gestes précis et délicats, déplie, montre, applique les vêtements sur elle, prenant des poses haute couture sophistiquées. C'est étonnant, drôle, absurde, émouvant.


Dans la salle, Clara Saint, celle qui a permis à Noureev de faire le grand saut vers l'Occident et qui a fait partie du noyeau dur de "la bande Saint Laurent", en plus d'être son attachée de presse, Poppy Moreni, Emmanuelle Khan, la grande photographe Dominique Issermann, les rédactrices en chef de Elle et consoeurs, Eric Bergère. Que du beau linge. Pour un happening de mode, c'est la moindre des choses. Au premier rang, entre Françoise Lacroix et Chantal Thomass, je me régale. La Lacroix me glisse de temps en temps avec gourmandise " Je veux cette culotte", ou "Tu serais mignonne là dedans"! Elizabeth Quin dont le livre sur les vanités est une merveille d'intelligence, de beauté, d'humour dans une mise en page parfaite est assise sur le rebord de la fenêtre à côté de l'éditeur José Alvarez et se bidonne en prenant des notes. Même les photographes se marrent. Ce qui est rare. En général ils appuient sur le bouton, laissent le petit oiseau sortir et engrangent une énième pose de mannequin glacé qui finira sur du papier qui ne l'est pas moins.


C'est que l'ennui est souvent de mise dans les défilés. A raison de deux saisons par an où elles se goinfrent chaque fois des dizaines de défilés, la plus endurcie des rédactrices de mode finit par être blasée devant toutes ces jupes, ces pantalons, ces robes, ces manteaux, qu'ils soient romantiques ou punks, déstructurés ou classiques, japonais ou italiens, en maille ou en mousseline. La mode, comme le reste ne peut se renouveler et se réinventer que jusqu'à un certain point. De non retour. Que l'on a déjà atteint.

Devant ces vêtements qui ont vécu ("mais de quelle vie ça vient?" remarque avec tendresse Violeta), devant ce manteau dont il ne reste quasiment que des trous et qui, par le regard intelligent et subtil d'Olivier devient plus chic qu'un manteau de Yoji Yamamoto, devant ce bleu de travail fait de dizaines de pièces, devant ces T shifts pâles rapiécés de couleurs vives, l'on reste rêveur. Ce qui est devenu rare dans les défilés. Ça change du clinquant, de tous ces couturiers qui ont érigé leur logo en motif jusqu'à l'écoeurement.


Ce miroir poétique qui est tendu au monde frivole et tout puissant de la mode fait du bien. Assise à côté de Françoise Lacroix, je ne peux m'empêcher de penser à quel point c'est scandaleux qu'un des plus grands artistes de ce métier, Christian Lacroix ait du fermer boutique, laissant la place à la vulgarité, au mercantilisme, au tape à l'oeil et à la bêtise ambiantes.


Avec ce happening, Olivier Saillard nous rappelle qu'un vêtement ça vit, ça se transforme, ça évolue avec nous. Que nous ne sommes pas des cintres, mais des personnes. Que l'émotion est la première valeur.

Et que tout n'est que vanité. Surtout la mode. N'est ce pas Elisabeth Quin?


1 commentaire:

  1. j'aime beaucoup la phrase: " Que nous ne sommes pas des cintres, mais des personnes. Que l'émotion est la première valeur."

    Comme c'est juste, mais bien souvent oublié, remettre la personne en avant, devant, debout voilà qui est important

    Triste aussi que C Lacroix créateur et artiste ait du baisser le rideau, c'est scandaleux, tout ça pour plus de profit.
    Comme si la création, l'art, la culture, la mode étaient des produits jetables

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