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samedi 13 février 2010

la croisière ne s'amuse pas



Florence Aubenas est extraordinaire. Non seulement elle nous a éblouis par sa lumière, son sourire lorsqu'elle a été libérée le 12 juin 2005. Mais en plus, elle continue à se passionner pour les autres avec une belle âme, bien loin du cynisme parisien. Son nouveau livre "Le quai de Ouistreham" est splendide. D'abord, la plume. Ça n'est pas un livre de journaliste. C'est un livre d'écrivain. Le style est précis, sobre, ciselé, avec des images qui percutent, justes et émouvantes.


Puis le sujet. Fort. Très fort. Florence Aubenas dans la peau d'une femme qui cherche du boulot à Caen, nous décrit la misère. Celle de la précarité, des passages obligés au Pôle Emploi où on vous balance à la gueule qu'il y a rien. Celle des stages bidons qui sont là pour faire baisser les chiffres du chômage. Celle de ces femmes prêtes à tout pour travailler. Il n'y a jamais de condescendance. Jamais de complaisance. Jamais de nombrilisme. Jamais de poésie à deux balles. Elle est tout à la fois lucide et tendre pour ces vies sur lesquelles règne la cruauté du monde du travail. Elle décrit avec minutie l'enfer sur terre.


Parfois une phrase suffit, et un monde surgit. "Heureusement, mon mari est parti". On devine le cauchemar quotidien, l'homme qui boit, ou qui cogne, ou qui fait des reproches, ou qui ne fait rien. Rien d'autre que rester prostré devant la télé.

Elle nous embarque dans ces journées, ces nuits sans espoir, sans sommeil, où il faut trimer dur et la boucler. On dit femme de ménage. Pourtant il y a des hommes. Peu. Et c'est pas eux qui vont récurer les chiottes sur le Ferry! Les "sanis", les sanitaires quoi, c'est un travail de gonzesse. Où ça va se nicher la petite misogynie quotidienne! A bord, quand les anglais ont débarqué, la croisière, elle ne s'amuse pas du tout!


Quand on oublie pourquoi il faut continuer à défendre les droits des femmes ici et maintenant, la réalité est là pour nous le rappeler. Il parait que Florence Aubenas n'est pas féministe. M'est avis qu'elle est comme monsieur Jourdain. Féministe sans le savoir. Son livre porte un beau regard sur ces esclaves des temps modernes. Celles qui font "des heures", faute de trouver du travail. Celles qui disent, quand on leur alloue une prime de 200€ "Ça fera un genre de parachute doré!" Humour noir. Glaçant.

Celles qui lâchent: "C'est trop tard. J'ai vingt ans déjà" L'horizon bouché à vingt ans? Oui.

Celles qui avouent "On est bien obligés d'avoir la télé chez soi. Sinon qu'est ce qu'on ferait quand on a des invités?"


La télé. Parlons en. L'obscénité des images qu'on nous balance à la télé me saute soudain à la gueule. Comment peut-on supporter ces images lisses et formatées quand on vit dans une telle misère?

Comment peut on supporter les artistes et leurs affres de la création narcissiques et complaisants qui se répandent?

Comment peut-on supporter ces pubs où l'on voit ces familles idéales qui n'existent pas?

Quel effet ça fait de voir des gens gagner des fortunes à des jeux débiles quand on a mal partout? Ça fait tenir? Ça permet de se dire que peut être soi aussi, un jour on passera dans le poste et on gagnera le cocotier ou le séjour sous les palmiers?

Quel effet ça fait de voir des intellos se chamailler sur des sujets abscons? Ça doit leur tomber des neurones. Savent même pas de quoi il s'agit.

Quel effet ça fait de voir toutes ces émissions dont le personnage principal est l'argent, des fortunes des milliardaires/ escrocs russes aux palaces clinquants des stars hollywoodiennes, quand on doit tenir sur 8€ à deux pour une semaine?

De toutes façons, ils ne se donnent même pas la peine de changer de chaîne, les pauvres. Kéblos sur la une, qu'ils sont. Ils cherchent pas. Ils ont trouvé. Ils sont arrivés. Et une chose est sure, ils n'iront pas plus loin.


La couverture de Télérama de cette semaine proclame: "Halte à la France moche!" Tout à coup, l'obscénité du titre. Moche?! Oui, c'est moche d'être sans boulot. Oui, c'est moche de se faire maltraiter par des employeurs cyniques et condescendants. Oui, c'est moche de se plier au cirque du Pôle Emploi alors que tout le monde sait très bien qu'il n'y a pas de travail. Oui, c'est moche de ne pas dormir et d'avoir faim. Pas top glamour d'aller récurer des chiottes à quatre pattes à six heures du matin. La beauté, c'est pas leur problème, aux pauvres. L'environnement non plus. Je les vois les prolos qui se goinfrent de sacs en plastique au Franprix, "pour ne pas manquer". Va donc leur expliquer qu'il faut faire gaffe au réchauffement de la planète alors qu'ils crèvent la dalle et de froid! L'écologie, c'est un gadget pour les riches. Y'a qu'à voir le prix des produits bio.


"Je suis devenue invisible" écrit Aubenas. Une femme de ménage EST invisible. Que c'est violent! Quelle claque à nous tous.

Dans "Le quai de Ouistreham" les chiffres de ces chômeurs/meuses s'incarnent. Ils ne sont pas que des numéros, ils ont une vie.

Dans les mots de Florence Aubenas la douleur quotidienne devient palpable. Et les femmes qu'elle décrit, Victoria, Marylou accrochées à ce qui leur reste d'humanité sont bouleversantes.

Aubenas vient de réussir un livre magnifique sur la France niée et ignorée. Celle où les femmes sont invisibles.


4 commentaires:

  1. Magnifique réquisitoire qui donne envie d'aller lire ce livre de Florence Aubenas! Merci! *_*

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  2. je vous lis depuis quelques posts. Je vous trouve tellement juste dans votre sensibilité. Je n'arrêterai pas de vous lire.

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  3. Chère Caroline,

    Juste. Simplement juste. Tes mots pour dire l'indicible sont ceux que j'aurais aussi écrit.

    Merci pour être TOI. Merci d'ETRE tout simplement.

    Bien à toi
    Caphi
    http://caphi.over-blog.fr

    P.S. : Tu devrais faire une chronique radio ou T.V., ma chère Caroline

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