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dimanche 1 août 2010

DON GIOVANNI, DERNIER TANGO



Il y a quelques semaines, un ami, et non des moindres, m'envoie un SMS. "Don Giovanni sublime sur Arte" J'obtempère. J'allume le poste. Premières images. Des costumes modernes. Des jeans, des petites robes… Mouais. Déjà vu. Peter Sellars a déjà bien fait la blague avec ses chanteurs qui picolaient et se shootaient sur scène. S'il suffisait de mettre les gens en costume d'aujourd'hui pour que ça soit intéressant, ça se saurait! Et puis, très vite, me voilà captée. Fascinée. Il se passe quelque chose d'incroyable dans mon écran. La partition de Don Giovanni, je la connais par coeur. C'est un opéra qui m'a accompagné toute mon enfance. Les scènes, les arias n'ont pas de secrets pour moi. Mais là, ce que je vois me scotche. Je découvre des scènes jouées. Chantées, certes, et magnifiquement, la musique est parfaite, les tempi sont justes… Mais ce qui se passe entre les personnages ne ressemble à rien de ce que j'ai déjà vu.

Les chanteurs sont lookés. 80 à mort. Un Prince Rainier, une Marilyn punk, un Fonz tout droit sorti de "Happy days", des personnages avec téléphones portables. Et arrive Don Juan. Le cheveu blond, rare et filasse. Un pull en v sur un T shirt fatigué, comme lui. Un manteau couleur peau de chamois. Grand. La cinquantaine. Magnifique. Marlon Brando dans "Le dernier tango à Paris". Un sublime vieux beau. Sur sa gueule, sur son corps on lit les nuits blanches à faire l'amour, la lassitude de ces conquêtes trop faciles. C'est terrible d'être un Don Juan. C'est atroce d'être irrésistible. La séduction est une drogue dure, et une malédiction. Tout ça, Bo Skovus le porte sur lui. Il est fantastique. A ses côtés son complice Leporello, branché new wave à la mèche asymétrique qui l'accompagne et lui prépare ses "plans", génial. Dona Elvire, amante abandonnée, dont le désir pour lui est intact. Dona Anna, hystéro.


Les années 80 sont le cadre idéal pour ces fêtards en gueule de bois quotidienne, pour cette mise en scène de la soif de jouissance à tout prix, et du cynisme qui l'accompagne.

La scène entre Don Juan et Zerline, la petite Marilyn sortie d'une photo de Norman Mailer, avec sa robe blanche en tulle et son regard paumé est inouïe. Vorei e non vorei. Il est censé la séduire, lui faire des avances. Et il ne fait rien. Las de la veille où il a sans doute séduit et baisé une autre, il reste écroulé sur sa chaise. Il sait déjà qu'il va la tomber. Que ça va être une proie facile. C'est qu'il en a fait craquer des plus coriaces! Pour tomber, elle tombe. C'est elle qui glisse de sa chaise, qui se traine à ses pieds, folle de désir. Il lui fait l'amour avec des mots. Don Juan, c'est un homme qui peut faire jouir une femme rien qu'en lui parlant. Il a ce talent diabolique. Sans lever le petit doigt.


C'est absolument extraordinaire. Quelle direction d'acteurs prodigieuse. Pendant l'entracte on nous montre le travail de répétitions. Tcherniakov, maniaque, fait refaire chaque geste jusqu'à ce qu'il soit parfait, habité de la bonne intention. Il donne du sens à chaque moment. Il a raison. Le diable est dans les détails. Il n'y a pas de petite chose. Le moindre geste faux peut tuer une scène.

Puis Don Giovanni/Brando devient le chef d'orchestre pathétique de cette fête qui va mal tourner. Du plateau, il dirige l'orchestre dans la fosse avec un couteau et une fourchette, comme un invité bourré à un banquet. Il boit du whisky au goulot, trash, destroy, no future, de plus en plus paumé. Junky à l'amour, accro à la séduction, addict au cul. La fuite en avant. Il tourne tout seul dans le salon désert, ivre de lui même, totalement désespéré, s'assoit par terre avec Leporello, et on revoit Brando dans cet appartement parisien vide du film de Bertolucci, hagard, défait, soliloquant, sachant que la mort est derrière la porte.

Enfin, la crise cardiaque le terrasse. Il tombe. C'est la curée. La haine des autres personnages est palpable. Les femmes ont encore quelques élans de désir, mais un séducteur à terre provoque un rejet violent. Il a joué avec le feu (le feu au cul? les flammes de l'enfer?) qu'il crève! Il a transgressé les codes sociaux, amoureux? Qu'il crève! Il s'est joué de la morale? Qu'il crève!


Tcherniakov a réussi un exploit. Nous faire entendre le sens de chaque scène, de chaque aria. Nous rendre proche, vivante cette histoire. Nous embarquer dans la tragédie du personnage. Nous rendre Don Giovanni présent. Loin des discours prétentieux et abscons de certains "faiseurs en scène" qui prétendent moderniser les oeuvres et ne réussissent qu'à les vider de leur substance, Tcherniakov par sa direction d'acteurs au scalpel, complètement habitée, nous fait pénétrer véritablement dans l'essence du don juanisme.


Un très grand moment. Inoubliable. Dirigé sur des instruments anciens avec émotion, justesse et SANS partition par Louis Langrée. Quand l'art est beau, intelligent et profond comme ça, ça redonne confiance en l'humanité. Rien que ça. Là.


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