Aujourd'hui, j'ai pas envie de rigoler. Mais alors, pas du tout. Envie de gerber ou de pleurer. Au choix. La ferme est revenue décharger son purin nauséabond dans nos salons et nos cerveaux. Vous m'direz, je n'suis pas obligée de regarder. On est d'accord. D'ailleurs, je ne regarde pas. Mais je vomis quand même. C'est que sans regarder ça, ça me regarde. C'est que ça en prend de la place, cette daube. Dans les journaux, les conversations, à la radio, et surtout à la télé. Un ramassis de "has been" en manque de passages dans le poste dont on filme l'intimité peu ragoutante en prime time sur TF1 commentée par deux présentateurs cyniques et vénaux fait mine de passionner les foules? J'ai les dents du fond qui baignent!
Ça prend aussi de la place sur facebook, (ben oui, faut vivre avec son temps) où les commentaires abondent. "Mieux vaut en rire qu'en pleurer" dit celui ci, "Il y a pire" dit celui là. "C'est rigolo" lance un autre "Au diable les valeurs!" ose un dernier. Au diable les valeurs?! Au secours! Mais comment peut on à ce point ne pas se rendre compte des dégâts collatéraux que causent ces émissions de merde! Même Jean-Pierre Foucault qui, jusqu'à présent gardait une certaine dignité et disait tout le mal qu'il pensait de la télé-réalité a fini par succomber au chant des $irène$. Misère… Misère… Misère intellectuelle, d'abord. Perte des valeurs, ensuite. Et incidence directe sur la capacité à réfléchir ou à simplement s'émouvoir du spectateur.
OK. La télé toute puissante est devenue un gage d'existence. Si tu ne passes pas à la télé, tu n'existes pas. T'es mort. A contrario, ceux qui y passent existent. Pour ceux qui passent dans la Ferme, c'est bingo! Là, il ne faut rien faire, en tout cas rien de créatif, il suffit d'"être" et de se laisser filmer en train de passer la serpillère ou de trier les ordures, en échange de quoi on vous en met plein les fouilles. Le but n'est pas de "faire" ou de "dire" quelque chose à la télé, mais juste de "passer" à la télé. Pour se sentir vivant. Vu à la télé. Quand on veut juste être connu et gagner plein d'argent c'est cool. Quand on veut être artiste, c'est impossible!
De toutes façons, les gens, c'est plus acteur ou chanteuse qu'ils veulent faire. C'est "people". Le cinéma ou la chanson n'étant plus que des moyens pour y arriver. Pas des images justes. Juste des images. Les artistes, dont le rôle a toujours été celui de tendre un miroir poétique, rebelle ou critique au monde, ne sont plus là que pour servir de caution à la loi du marché. Et ce ne sont pas des émissions où on voit des gens se chamailler pour du liquide vaisselle ou un balai de chiottes qui va arranger les choses. "C'est ainsi que l'écran de télévision est devenu aujourd'hui une sorte de miroir de Narcisse, un lieu d'exhibition narcissique" écrivait Pierre Bourdieu dans son indispensable petit livre rouge "Sur la télévision" en 1996. Depuis, inutile de dire que ça ne s'est pas arrangé. Comme pour le reste, l'argent roi, la loi du marché ont triomphé.
Cette année ils ont cru bon de délocaliser cette ferme en Afrique. Quelqu'un de chez Endémol aurait il lu Karen Blixen par distraction? "I once had a farm in Africa…" l'Afrique, c'est chic! Comme au zoo, ou il y a cent ans à l' Exposition Coloniale. Avec des gens derrière les barreaux. Sauf que c'est à l'envers. On emmène les petits blancs au pays des singes… La seule différence notable, c'est que c'est pas des cacahuètes qu'ils gagnent, les "peoples" derrière les barreaux du téléviseur.
Ou alors, c'est que l'Afrique, ça rime avec le fric! C'est fascinant comme ils ont un inconscient limpide les gars de chez Endémol. Car l'unique enjeu ici, c'est l'argent. Beaucoup d'argent. L'éternel pacte avec le diable. C'est moche! Pour paraphraser Coluche, quand on pense qu'il suffirait que les gens ne regardent pas ces émissions pour que les chaînes ne les programment plus.
Ce qui est étonnant, c'est qu'il y a toujours des imbéciles ou des naïfs pour vous demander "Mais alors? Et toi? Pourquoi tu ne la fais pas, cette ferme? Tu dirais non à 10 000€ par semaine?" Oui. Je dirais non. Je dirais même "plutôt crever!" Parce que faire ce genre de merde, c'est juste planter le dernier clou du cercueil. Parce que ça ne rebooste en rien une carrière. Ça l'enterre. Ça la décrédibilise définitivement. Ça participe à un système qui use tous les jours un peu plus le désir du public pour les artistes. De nos jours, quand ceux-ci sont invités dans le poste pour causer de leur travail, il n'est pas rare qu'ils ne soient là que pour servir de tête de turc à un chroniqueur plus ou moins inculte et vulgaire, quand ça n'est pas juste pour justifier la présence, donc le cachet pharamineux, du présentateur vedette. Car c'est le présentateur la vedette, pas l'artiste. D'ailleurs, l'artiste, au prétexte qu'il vient vendre sa camelote, vient faire le show gratos, lui.
Je résume: les artistes ça ne vaut rien. C'est de la chair à foutage de gueule. Et les cons qui n'ont aucune pudeur et rien à raconter sont les rois du pétrole! Comme tout le monde le veut son quart d'heure de gloire warholien, on nous fabrique des émissions ad hoc dans lesquelles le péquin moyen même, (surtout) s'il n'a rien à dire, peut s'exprimer. "Quand on n'a rien à dire et du mal à se taire, on atteint les sommets de l'imbécilité" écrivait le poète Bernard Dimey.
"On en peut pas être et avoir été"? Une chose est certaine. On ne peut pas être artiste et avoir été un "client" de télé réalité. On devient, le temps de la diffusion, un "people", ce qui n'a strictement rien à voir, avant de retomber aussi sec dans le vide intersidéral de l'anonymat le plus crasse.
De plus en plus de gens se libèrent de la télé. Moi même, je ne l'allume plus que rarement. Pourtant, j'étais téléphage dans le temps. Mais aujourd'hui, et ce, malgré les nouvelles chaînes qui pullulent (car (presque) tout le monde fait la même chose) on ne trouve plus que "zappings", " rubriques people", "chroniqueurs", et les sempiternels invités happy few qui font le tour des chaines, leur paquet de promo sous le bras. Promo lave plus blanc!
La résistance, elle est là. C'est contre ce grand frère "big brother" qu'il faut lutter. Celui qui prend nos cerveaux en otage. Qui nous essore les neurones.
Bien sûr la télé peut créer des choses merveilleuses, susciter de vraies découvertes, de vraies rencontres. Il y a, et il y aura toujours des journalistes et/ou des producteurs pour proposer des images qui ouvrent l'esprit, font voyager ou distraient sans abrutir mais une émission comme "la Ferme" flatte les instincts les plus glauques. Allez, j'avoue qu'une bonne grosse connerie à la télé, parfois ça détend. Ça peut dépanner pour trouver le sommeil. Mais de là à ce qu'elle tire à elle les couvertures des journaux et que les autres médias, le doigt sur la couture du pantalon, nous décrivent par le menu ces non-évènements il y a un pas. Et vous aurez remarqué comme moi que ce qui intéresse le plus les médias, donc les gens c'est: "Combien ils gagnent?". Le cachet exorbitant des protagonistes est devenu le premier, le seul vrai sujet. Ça fait peur.
Mais jusqu'où peut on s'avilir pour de l'argent? Jusqu'à renoncer à sa dignité? Jusqu'à se renier? (cf J P Foucault?) Comme au Japon où le sadisme des concepteurs d'émissions atteint des sommets?
La télé, devenue une très lucrative machine à has been, invente toutes ces "nouvelles" émissions où elle recycle jusqu'à la nausée les has been qu'elle a créés. Ce sont ses monstres, ses créatures, ses pantins, ses Frankenstein. Les monstres vont-ils se révolter, et faire péter de l'écran plasma, ou les marionnettistes nous tiennent ils tous par les cordons de la bourse?
La télé? Quand ça m'embarque en terre inconnue je suis cliente, mais quand c'est ça, je dis non. Personnellement, je préfère faire partie de ceux qui l'éteignent et qui l'ouvrent. Plutôt que de ceux qui l'ouvrent et qui la ferment! CQFD!