Quelqu’un m’aurait dit qu’en octobre 2011 je regarderais, dans une salle comble du Forum des Halles, un film muet en noir et blanc tourné quelques mois plus tôt à Hollywood, je lui aurais demandé le numéro de son dealer…. Et pourtant… Hier soir, j’ai été voir « The artist », le dernier film de Michel Hazanavicius avec Jean Dujardin et Bérénice Béjo. Comme sans doute la majorité des spectateurs, j’étais là pour Dujardin. Pour Loulou, pour Brice, pour OSS 117. Comme beaucoup, j’ai une passion pour Dujardin, véritable génie comique, et j’avoue que son arrivée dans le champ de la première séquence de OSS117, la scène de danse, me met dans un état de transes assez inquiétant. (pas besoin du dealer précité !) En plus, il est beau, il est sexy, enfin, vous l’aurez compris : je suis fan ! Je dirais même mieux : présidente du fan club ! Mais il n’est pas seul. Dans « The artist » il partage l’affiche avec Bérénice Béjo, que j’avais trouvée charmante dans ces faux films d’aventure à la manière des années 50-60. Et là, quelle est ma surprise de tomber complètement sous son charme. Peppy Miller, le personnage de jeune première incarné par Mademoiselle Béjo est, dans le désordre : craquante, pétillante, spirituelle, émouvante, piquante, chic. En un mot comme en cent, délicieuse. Elle illumine l’écran de sa fraîcheur et de sa gaieté. Une révélation, et elle aurait très largement mérité le prix d’interprétation cannois elle aussi…
Que la salle de ce complexe, pompe à fric bien loin de ma chère cinémathèque de Chaillot, là où j’ai passé mes années d’adolescence jusqu’à sa fermeture, là où j’ai vu en chair en os (surtout en os) et en tailleur Chanel l’immense Bette Davis accrochée au bras de Costa Gavras qu’elle appelait mister Gravas allumer une cigarette sur scène dans un geste glamour, là où j’ai découvert ce cinéma hollywoodien auquel le beau film de Hazavanicius rend un hommage habité et intelligent, que la salle de ce complexe donc, soit bourrée à craquer de gens qui, pour la plupart, n’ont sans doute jamais entendu parler d’Ernst Lubitsch ou de Nazimova est un exploit assez fascinant. Dans cette salle de trois cent places, quel bonheur de reconnaître un clin d’œil à « La huitième femme de barbe bleue », à « Sunset Boulevard » ou à « Citizen Kane » ! Quelle joie de déceler des références subtiles à Maurice Tourneur et Franck Capra ! Quelle merveille de trouver dans l’histoire même, un film sur des acteurs, un film sur le cinéma, un film sur l’ascension et la chute d’une de ces premières stars de la pellicule, le point de départ même de tellement de ces films qui ont été les chef d’œuvres du 7ème art. Et évidemment, au cœur de tous ces hommages subtils, quelle délectation de vibrer à la référence, « Chantons sous la pluie », le grand film sur l’avènement du parlant qui a flingué le muet, mettant sur la paille toutes ces vedettes qui n’avaient pas su, ou pu, passer aux talkies. Dans mon fauteuil, j’ai été épatée par la photo magnifique de Guillaume Schiffman et la musique, elle aussi truffée de références, de Ludovic Bource.
Moi qui pleure devant un film de Fred Astaire avec ses seconds rôles désopilants, de Edward Everett Horton à Eric Blore, moi qui connais chaque plan de « All about Eve », moi qui ai adoré Mankiewicz et Cukor, hier soir, dans cet immonde Forum des Halles défiguré par cette architecture atroce qu’ils ont enfin commencé à démolir, j’étais sur un petit nuage. Jusqu’au moment où, à la toute fin du film, Hazanavicius, après nous avoir baladés avec malice dans toutes les déclinaisons scénaristiques autour du silence, ose quelques minutes de vrai silence, de film muet sans musique. Et là, je me suis dit que vraiment il était trop fort ! Alors que dans les salles mitoyennes des bellâtres se battaient contre des robots en image de synthèse à coup de sensurround et autres effets spéciaux gavants, ou que des comédiennes dont le botox a réduit le nombre d’expressions à l’expression unique, celle de l’étonnement perpétuel, jouaient une énième comédie de mœurs soi disant modernes et éternels remakes de « Sérénade à trois », sur ce grand écran, je retrouvais le plaisir de mes premières amours cinématographiques vues dans l’antre de Langlois, au Trocadéro.
Passionnée de ce cinéma en noir et blanc dont la poésie et la force restent, à mon sens, rarement égalés, hier soir j’ai eu le sentiment d’être un peu moins un dinosaure que d’habitude. Au milieu de cette salle bondée je me suis sentie moins seule, et me suis réjouis qu’il y ait encore quelques dingues capables d’embarquer un public qui, pour sa majorité, date l’histoire du cinéma à partir du Grand bleu, à découvrir, et peut être aimer ce noir, ce blanc, et toute cette gamme de gris…
Si les comédiens, dans les derniers plans du film retrouvent le son de leur voix, moi ça me l’a coupée. J’en suis restée coite. Chapeau l’artiste ! Chapeau les artistes !