www.carolineloeb.fr

Ma photo
http://www.mistinguettmadonnaetmoi.com/ et "CRIME PARFAIT",l'album en magasin!!

mardi 18 octobre 2011

ZE ARTIST


Quelqu’un m’aurait dit qu’en octobre 2011 je regarderais, dans une salle comble du Forum des Halles, un film muet en noir et blanc tourné quelques mois plus tôt à Hollywood, je lui aurais demandé le numéro de son dealer…. Et pourtant… Hier soir, j’ai été voir « The artist », le dernier film de Michel Hazanavicius avec Jean Dujardin et Bérénice Béjo. Comme sans doute la majorité des spectateurs, j’étais là pour Dujardin. Pour Loulou, pour Brice, pour OSS 117. Comme beaucoup, j’ai une passion pour Dujardin, véritable génie comique, et j’avoue que son arrivée dans le champ de la première séquence de OSS117, la scène de danse, me met dans un état de transes assez inquiétant. (pas besoin du dealer précité !) En plus, il est beau, il est sexy, enfin, vous l’aurez compris : je suis fan ! Je dirais même mieux : présidente du fan club ! Mais il n’est pas seul. Dans « The artist » il partage l’affiche avec Bérénice Béjo, que j’avais trouvée charmante dans ces faux films d’aventure à la manière des années 50-60. Et là, quelle est ma surprise de tomber complètement sous son charme. Peppy Miller, le personnage de jeune première incarné par Mademoiselle Béjo est, dans le désordre : craquante, pétillante, spirituelle, émouvante, piquante, chic. En un mot comme en cent, délicieuse. Elle illumine l’écran de sa fraîcheur et de sa gaieté. Une révélation, et elle aurait très largement mérité le prix d’interprétation cannois elle aussi…

Que la salle de ce complexe, pompe à fric bien loin de ma chère cinémathèque de Chaillot, là où j’ai passé mes années d’adolescence jusqu’à sa fermeture, là où j’ai vu en chair en os (surtout en os) et en tailleur Chanel l’immense Bette Davis accrochée au bras de Costa Gavras qu’elle appelait mister Gravas allumer une cigarette sur scène dans un geste glamour, là où j’ai découvert ce cinéma hollywoodien auquel le beau film de Hazavanicius rend un hommage habité et intelligent, que la salle de ce complexe donc, soit bourrée à craquer de gens qui, pour la plupart, n’ont sans doute jamais entendu parler d’Ernst Lubitsch ou de Nazimova est un exploit assez fascinant. Dans cette salle de trois cent places, quel bonheur de reconnaître un clin d’œil à « La huitième femme de barbe bleue », à « Sunset Boulevard » ou à « Citizen Kane » ! Quelle joie de déceler des références subtiles à Maurice Tourneur et Franck Capra ! Quelle merveille de trouver dans l’histoire même, un film sur des acteurs, un film sur le cinéma, un film sur l’ascension et la chute d’une de ces premières stars de la pellicule, le point de départ même de tellement de ces films qui ont été les chef d’œuvres du 7ème art. Et évidemment, au cœur de tous ces hommages subtils, quelle délectation de vibrer à la référence, « Chantons sous la pluie », le grand film sur l’avènement du parlant qui a flingué le muet, mettant sur la paille toutes ces vedettes qui n’avaient pas su, ou pu, passer aux talkies. Dans mon fauteuil, j’ai été épatée par la photo magnifique de Guillaume Schiffman et la musique, elle aussi truffée de références, de Ludovic Bource.

Moi qui pleure devant un film de Fred Astaire avec ses seconds rôles désopilants, de Edward Everett Horton à Eric Blore, moi qui connais chaque plan de « All about Eve », moi qui ai adoré Mankiewicz et Cukor, hier soir, dans cet immonde Forum des Halles défiguré par cette architecture atroce qu’ils ont enfin commencé à démolir, j’étais sur un petit nuage. Jusqu’au moment où, à la toute fin du film, Hazanavicius, après nous avoir baladés avec malice dans toutes les déclinaisons scénaristiques autour du silence, ose quelques minutes de vrai silence, de film muet sans musique. Et là, je me suis dit que vraiment il était trop fort ! Alors que dans les salles mitoyennes des bellâtres se battaient contre des robots en image de synthèse à coup de sensurround et autres effets spéciaux gavants, ou que des comédiennes dont le botox a réduit le nombre d’expressions à l’expression unique, celle de l’étonnement perpétuel, jouaient une énième comédie de mœurs soi disant modernes et éternels remakes de « Sérénade à trois », sur ce grand écran, je retrouvais le plaisir de mes premières amours cinématographiques vues dans l’antre de Langlois, au Trocadéro.

Passionnée de ce cinéma en noir et blanc dont la poésie et la force restent, à mon sens, rarement égalés, hier soir j’ai eu le sentiment d’être un peu moins un dinosaure que d’habitude. Au milieu de cette salle bondée je me suis sentie moins seule, et me suis réjouis qu’il y ait encore quelques dingues capables d’embarquer un public qui, pour sa majorité, date l’histoire du cinéma à partir du Grand bleu, à découvrir, et peut être aimer ce noir, ce blanc, et toute cette gamme de gris…

Si les comédiens, dans les derniers plans du film retrouvent le son de leur voix, moi ça me l’a coupée. J’en suis restée coite. Chapeau l’artiste ! Chapeau les artistes !

jeudi 6 octobre 2011

HAINE R J




Ça se passe à la radio, un soir de la semaine. Ma fille écoute sa radio préférée, NRJ. Personnellement, je suis plutôt France Culture ou France Inter, ce qui donne une idée de l'abime qui nous sépare. C'est sans doute ce qu'on appelle le gouffre des générations. En général, je passe dans sa chambre, j'entends quelques commentaires débiles, des rires forcés et gras, le tube R&B formaté du moment, et je change de pièce. Pas ce soir. Il y a un ado qui parle. Vraisemblablement, il est dans le studio et il s'adresse à son père. Quand je commence à percuter sur ce qu'il dit, j'entends "je vais arrêter l'école", "je vais dealer", ce genre de choses. A l'autre bout du fil, le père s'énerve. Comment ça il va arrêter l'école? Comment ça il va dealer, son môme? Mais qu'est-ce qu'il a à raconter n'importe quoi? Il a bu, le mouflet? Ça continue. Le gosse, encouragé par les animateurs qui ont l'air de bien s'amuser en rajoute. Au téléphone, le père devient fou. Très vite ça devient insoutenable. "T'es qu'une merde", "ce que je veux c'est gagner plein d'argent sans me faire chier", qu'il balance à son père, poussé par les crétins radiophoniques. Le paternel est au bord de la crise cardiaque. Il hurle, il dit qu'il va venir le chercher, il dit qu'il va lui péter la gueule à ce petit con, il dit qu'il a tout fait pour son môme. Il hurle. Il pète un câble. "T'es où? T'es avec qui? C'est qui les abrutis qui te foutent des idées pareille dans le crâne?" Dans la chambre de ma fille, je suis pétrifiée. C'est atroce. La France entière, enfin ceux qui écoutent cette radio de merde, ça n'est pas tout le monde, dieu merci, est témoin d'une séquence où un fils, pour gagner à un jeu naze rend son père fou de douleur. Au bout du fil, il lui détruit sa vie. Au bout du fil, il le crucifie. Les animateurs de plus en plus hilares finissent par prendre le malheureux géniteur en ligne et lui expliquer que c'était "pour rire" avant de balancer une nouvelle chanson. On ne saura rien de la suite de leur conversation. Ma fille, elle, a continué à vaquer à ses occupations, comme si de rien n'était. Elle n'a pas particulièrement ri, mais ça n'a pas eu l'air de la troubler plus que ça non plus. Moi, j'ai envie de gerber. De pleurer. D'aller casser la gueule à ce con de Cauet, puisque c'est de lui qu'il s'agit. Un quart d'heure de cruauté, de bêtise, à manipuler un môme qui de toute évidence ne se rend pas compte de la gravité de ce qu'il est en train de faire. Que s'est-il passé après? Son père l'a-t-il mis en pension? L'a-t-il privé de facebook pendant une semaine? Lui a-t-il filé une correction? Pour un quart d'heure d'antenne trash, une connerie à faire marrer des ados qui pensent que toutes les transgressions sont bonnes à prendre, détruire une famille? Flinguer un type qui essaye d'élever son gosse avec quelques notions de dignité? Humilier un homme, à l'antenne qui plus est par le biais d'un gamin inconscient? Quelle horreur! On est bien loin des canulars déjantés et des blagues subversives de Lafesse, qui n'avait pas froid aux yeux, mais qui était à se plier de rire, lui. Moi qui ai fait partie de la génération "radios libres", j'ai honte. Honte pour les cyniques qui sont à l'antenne. Honte pour ceux qui écoutent. Je ne suis pas bégueule, et l'ai prouvé à maintes reprises, mais ce mépris des gens est intolérable, inadmissible. Et choquant.

Et on lui a fait miroiter quoi au gosse qu'on a envoyé comme un kamikaze contre son père? Un nouveau portable? Des places gratuites pour un concert? Ou juste la satisfaction de passer dans le poste?

NRJ? Haine RJ, oui.

Le slogan du journal satirique Hara Kiri est "le journal bête et méchant". Sauf que 1-il n'est pas bête, 2-quand il est méchant c'est avec une idée à défendre. J'adore l'humour noir, voire très noir et pratique moi-même l'auto dérision avec délectation. Mais là, c'était juste méchant et incroyablement con.

S'il suffisait d'être méchant pour être drôle, ça se saurait….

A bon entendeur...

lundi 3 octobre 2011

ET J'ENTENDS SIFFLER LE TRAIN ....


Dieppe, son château, sa plage, ses galets. Son Festival de cinéma.

Depuis quatre ans une équipe passionnée invite le public et les professionnels à son festival au bord de la plage. C'était ce week-end. J'en sors. Je suis rincée.

Neuf films, cinq prix (des galets recouverts d'or à la feuille), six membres du jury, et un Président du jury.

Des films très différents, de la poésie, de la gravité, des enfants, des morts, un hommage au cinéma, un voyage en Iran, une belle actrice dans une grand rôle filmée par un réalisateur inspiré… Toute une palette d'images et d'émotions…. Jusque là, tout est normal. C'est la première fois que je me retrouve membre d'un jury, et je m'en réjouis. Je suis marxiste tendance Groucho, ma religion, comme Woody Allen, c'est l'art, j'ai une passion pour le cinéma, et en débattre avec d'autres passionnés promet de l'être, passionnant. Ce fut saignant.

Déboule un ovni: "Bovines", une heure sur des vaches qui broutent, qui dorment, qui broutent, qui se promènent, qui broutent, qui ruminent, qui broutent... Elles ne regardent même pas les trains passer.

Pendant les délibérations, je suis stupéfaite d'entendre voler des propos d'une misogynie qui me laissent sans voix. Corinne Masiero, l'actrice qui tient de bout en bout "Louise Wimmer" est une vraie comédienne avec une gueule, à mille lieues des filles au physique interchangeable et au narcissisme stupide, une grande gigue qui a une densité et une justesse peu communes, dont le sourire généreux éclaire soudain l'écran. Heureusement je ne suis pas la seule à être émue par elle et par le film de Cyril Mennegun qui lui a offert, la filmant au plus près avec délicatesse, un rôle fort. On se bat pour qu'elle obtienne un prix d'interprétation, continuant à essuyer les commentaires désobligeants de certains membres du jury. Tel le plus beauf des réactionnaires, il semblerait que certains jugent de l'éligibilité d'une comédienne sur ses mensurations. Ok. La misogynie, on connait, on ne s'habitue jamais, mais on connait…. Rien de nouveau sous le soleil.


Vient le débat sur "Bovines". Un film contemplatif et beau, profond, qui nous embarque dans le temps des vaches, un temps près de la nature, sans musique, en gros plans tendres et paysages embrumés où vivent ces animaux placides. Une heure sur les vaches, et c'est tout? Non, évidemment. Il y a une dramaturgie subtile dans le film. Les vaches mettent bas, on reste avec elles, avec les veaux qui les suivent, les tètent, passant goulument d'un pis à l'autre, la tendresse de leurs grosses langues léchant le placenta.

Et l'homme arrive. Ou plutôt les hommes: un couple d'éleveurs et leur enfant qui tient une baguette en bois pour mener les vaches… à l'abattoir. Des gros plans des numéros agrafés à leur oreille, un plan noir un peu insistant, suivi d'un plan de brouillard, il n'en faut guère plus pour que la référence à "Nuit et brouillard" d'Alain Resnais ne me saute au visage. D'autant que dans la deuxième moitié du film, le tracteur qui vient chercher les animaux, inquiétant, sort d'un chemin sombre, tel le train de l'horreur filmé par Claude Lanzmann… En creux, avec subtilité, on voit la mort se profiler. On repense au "Sang des bêtes" de Franju, redoutant la violence des images d'abattoir. Il n'en est rien. On voit les vaches pleurer quand elles voient leurs petits se faire emmener, on entend la paysanne lâcher, opaque, "Ce sont des mères tout de même"… et tout est dit.

Après le bras de fer avec mes collègues du jury pour le prix d'interprétation, il faut lâcher Bovines. Soit.

Nicolas, le jeune président du festival me l'a dit à mon arrivée à Dieppe: ici, pas de frime. C'est un Festival qui aime d'avantage le cinéma que le tralala qui l'entoure. On a beau être au bord de la mer, on n'est pas à Cannes, l'enjeu n'est pas le même, il n'y a pas de stars liftées et de gros producteurs à cigare, il me glisse que je peux me sentir libre dans mes positions, et qu'on est là pour le plaisir. Il ne faut pas me le dire deux fois.

Quelques instants avant la cérémonie de clôture, j'entraine sur la plage l'autre femme du jury, Agnès Mouchel, monteuse émérite, afin que l'on choisisse un petit galet que l'on remettrait à Emmanuel Gras, le réalisateur sensible de "Bovines". Un coup de coeur, un clin d'oeil amusant, un brin frondeur… Pas de quoi en faire un fromage. Une fois les prix remis aux uns et aux autres, présentés avec charme et humour par la délicieuse Nadine de Gea, je prends le micro et remets le petit galet que j'ai choisi parce qu'il y avait un signe "peace and love" à l'intérieur. Je fais monter le réalisateur, sous les applaudissements du public qui lui aussi a aimé le film. Et là, ça part en vrille. Un des membres du jury ivre de rage prend à son tour le micro et se met à insulter le réalisateur; il a détesté le film, ce qui ne nous avait pas échappé lors des délibérations. Le président du jury, Vladimir Cosma, blême, sort avec mépris un spray Riqlès de sa poche et fait mine de me le donner, pour me signifier que mon galet n'a aucune valeur, puis me balance "après, tu t'étonnes qu'il y ait de l'antisémitisme". Je suis sidérée.

Ah la vache! C'est énorme. Oui, Loeb c'est un nom juif alsacien. Oui, mon grand père paternel a pris le dernier bateau de Marseille pour fuir les nazis. Oui, quand il est rentré de la Havane où il a attendu la fin de la guerre, le galeriste qui devait lui garder sa galerie, puis la lui rendre à son retour n'a pas voulu obtempérer, et c'est Picasso qui est monté au créneau, appelant le malotrus et d'une phrase lapidaire, "Pierre est rentré", forçant celui-ci à une attitude digne.

Mais j'avoue que je n'ai jamais personnellement été confrontée à l'antisémitisme. Ça ne fait pas partie de mon paysage mental. Pardon monsieur Lanzman pour le calembour limite, mais j'ai d'autres Shoah à fouetter...

La réflexion de Cosma me cueille. Un moment l'idée que c'est de humour noir pince sans rire m'effleure. Si c'est de l'humour, ça n'est en tout cas pas de l'humour juif. L'humour juif, je connais: c'est drôle. Là, ça ne l'est pas. Naïve que je suis. Il répète cette réflexion désopilante au membre du jury soupe au lait qui s'est insurgé contre mon geste que je voulais sympathique et marrant, nullement consciente des vagues de haine que provoquerait ce minuscule galet. Un caillou dans la mare.

Il persiste et signe, le grand compositeur: juive. Voilà ce que je suis. Il ne faut pas que je m'étonne s'il y a de l'antisémitisme. (sic). Comme disait Dorothy Parker, "sic as a dog". Si son homophone Joseph Kosma a fui le nazisme en 1933, monsieur Cosma qui a signé la musique de "Rabbi Jacob" aurait donc des points communs avec le personnage joué par Louis de Funès? Et je ne parle pas de sa drôlerie.

Avec un visage lisse, ses yeux bleus vrillés dans les miens, la mâchoire crispée, il me ramène au film sombre de Resnais.

C'est la cérémonie de clôture, on attend le bouquet final. Les commentaires de la journée, misogynes, racistes, et enfin antisémites s'accumulent pour finir en gerbe finale.

Il paraît que j'aurais du prévenir notre président du jury de ma folle audace. Il paraît qu'il y a eu crime de lèse majesté. Il paraît que j'aurais pu lui présenter des excuses.

En l'espèce, s'il y a des excuses à faire, ce n'est pas de moi qu'elles doivent venir. Ni qu'elles viendront.

Oui, monsieur Cosma, je m'étonne....