Les préjugés ont la vie dure. Depuis que les femmes osent l'ouvrir pour autre chose qu'avaler des couleuvres, elles se font renvoyer dans les gencives qu'elles sont moches et mal baisées.
Moches, les féministes? Il suffit de voir les beautés dont l'exposition "Photo Femmes Féminisme" offre un florilège pour se convaincre du contraire. Des beautés, il y en a. Et des sublimes. Mal baisées? Ça, c'est encore l'insulte la plus drôle! Si elles sont mal baisées, ce qui reste à prouver, par qui le sont-elles, grands Dieux? Dans les critiques récurrentes contre le discours féministe, il n'est pas rare non plus que les insultes homophobes fusent. Ce qui me fascine, c'est qu'on puisse trouver le discours d'une femme irrecevable au motif qu'elle n'est pas baisable. Par un homme, s'entend. A t-on déjà vu un homme politique se faire envoyer aux pelotes parce qu'il n'avait pas un physique avenant? Reproche t-on à Charles Pasqua ses bajoues, à Laurent Fabius sa calvitie ou à DSK son tour de taille d'éléphant? A part Dominique de ViIllepin avec sa tronche de vieux play-boy, avouez que tous les autres ne sont pas bien ragoûtants! Et personne ne le leur reproche.
Mais revenons à l'expo.
Pour encore quelques jours en plein coeur du Marais, il faut aller voir les photos et les films réunis par le fonds photo de Marguerite Durand au 22 rue Malher pour notre plus grand bonheur.
Le féminisme n'a pas un visage. Il en a cent. Deux cent, en fait. Des sacrées gonzesses. Qui ont tenu tête au système macho. Qui se sont battues envers et contre tous. Et elles sont belles. N'en déplaise aux vieux croutons, c'est pas des cageots, les suffragettes. Sur deux étages, des visages de femmes. Des tronches. Des belles gueules. La princesse Marthe Bibesco avec son turban, les yeux cernés de noir. Hortense Schneider, la Madonna de la fin du XIXème, pour laquelle Offenbach a écrit tellement de grands rôles, et qui fut la maitresse de plusieurs rois et empereurs. La Goulue, la plus célèbre des cancanneuses immortalisée par l'immense Toulouse Lautrec, posant avec sa copine Nana la sauterelle. Rosa Bonheur, grand peintre, habillée en homme comme toujours, arborant fièrement sa légion d'honneur. Hubertine Auclert, la première suffragette, la divine Nelly Roussel, et la très masculine Madeleine Pelletier, toutes deux des précurseures du féminisme. La belle Caroline Rémy, dite Séverine, une des premières femmes journaliste, qui collabore à "La Fronde", un journal féministe, cent ans avant le très pertinent "Causette", et qui militait également pour la cause animale, Brigitte Bardot avant l'heure. Frida Kahlo dans les années 50 photographiée par Gisèle Freund avec ses chiens. La jeune Marguerite Yourcenar et la vieille Colette. Et puis les grandes lesbiennes, la princesse Eugène Murat, Lucie Delarue-Maldrus, avec leurs regards forts, qui ne s'en laissaient pas compter. Françoise Sagan toute jeune, qui boit une bière au goulot, assise sur des marches en tailleur Chanel. Adrienne Monnier dans sa librairie, et Sylvia Beach, celle qui a eu les couilles de publier James Joyce dont personne ne voulait, le couple le plus littéraire des années 20. Daniel Lesueur, pseudo de Jeanne Loiseau, une femme écrivain qui avait choisi un nom de mec pour que sa prose soit lue sans condescendance, un siècle avant Fred Vargas.
Les commissaires de l'exposition ont eu la belle idée de mélanger des politiques, des militantes, des photographes, des écrivaines, et des artistes de music hall. De Sarah Bernhardt à Réjane, de Damia à Yvette Guilbert en passant par Josephine Baker. Parce qu'on peut être féministe et être la plus grande tragédienne, celle qui a remis Racine et Molière au goût du jour, comme Rachel ou se trémousser avec deux mètres de plumes sur la tête entourée de boys et chanter avec une gouaille unique comme Mistinguett. Et puis Suzy Solidor, la chanteuse à la voix grave, idole des gouines des années 30, Musidora, une des premières femmes cinéaste, Camille Claudel…. J'en passe, et des meilleures!
J'y ai aussi vu Jane Fonda, avec son français impeccable doublé d'un fort accent américain parler à Delphine Seyrig de son statut de jeune star à Hollywood et lui expliquer comment les studios formataient les filles, leur épilant les sourcils, les teignant en blondes, leur redessinant la bouche, leur imposant des faux seins jusqu'à ce qu'elles ne se reconnaissent plus dans le miroir. Jane Fonda est une de celles qui ne s'est pas laissé ainsi modeler par ces sauvages. Si eux Tarzan, elle Jane!
En sus, une info sympathique: le 8 mars, l'expo est gratuite pour toutes…. et tous! Comme quoi, elles ne sont pas rancunières, les féministes!
Comme la bande son de cette expo: Pierre Philippe et Juliette Noureddine ont signé une chanson que j'ai le bonheur de chanter, "rimes féminines"… dans mon show "Mistinguett, Madonna et Moi!" toujours en tournée...