Plus ça va, plus je suis consternée par le niveau de ce qu'on nous refourgue dans les médias. Question syntaxe, orthographe, vocabulaire, ça vole bas. D'ailleurs, ça ne vole plus… ça rampe. Si, pour citer Boileau dans "L'art poétique" : " Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément", l'inverse est vrai. Il suffit de voir "comme on nous parle", comme l'a admirablement écrit et chanté Alain Souchon dans son sublime "Foule sentimentale", pour s'assurer que ça ne pense pas fort, et que ça ne pisse pas loin. J'ai vu Edwy Plenel il y a peu, excuser ceux qui avaient une mauvaise orthographe. J'avoue avoir été surprise par sa complaisance. Je le croyais homme de lettres et trouve bien démagogique cette tendresse pour ceux qui maitrisent mal le français. Certes, il y a des fautes d'orthographe charmantes, voire cocasses, mais le problème, car il y en a un, c'est que le niveau de l'écriture et l'indigence de pensée généralisés deviennent alarmants. Ce qui est grave, c'est qu'aussi bien des journalistes, que des scientifiques ou des gens qui publient des textes savants sur Internet font des fautes de grammaire indignes d'un élève de 5ème. Et que ce désintérêt pour le français correct est devenu endémique. Je préfère ne même pas aborder la question du langage SMS qui est un véritable désastre sur le cerveau de nos enfants, ni celle de MSN dont le niveau de communication flirte avec des abysses de néant! Là, pour citer Gainsbourg qui s'y connaissait en amour de la langue, "Cette fois je crois que nous sommes complètement ça y'est!" On touche le fond. On nous avait expliqué que les slammers allaient redonner le goût du style et des mots aux jeunes. Je n'voudrais pas dire, mais c'est pas flagrant!
A côté de cette bouillie langagière, on est de plus en plus assommés de chiffres. Attention! Pas n'importe quels chiffres! Les chiffres du succès. Untel gagne 1000 000€, un autre naze a acheté sa baraque 200 millions d'€, les milliardaires russes claquent 10 000€ en une soirée à saint Trop' etc… Arrête, je vais gerber! Trop c'est trop! Evidemment, toutes ces "infos" passionnantes tournent ad libitum dans des émissions formidables comme "Capital", la bien nommée, dans lesquelles le luxe ostentatoire et vulgaire des nantis est donné en pâture aux pauvres gens tous les dimanches soirs gratos dans le poste, comme on jette des pièces jaunes en aumône à un clodo dans la rue. C'est facile de faire rêver les pauvres pour pas cher. Et ça rapporte. De l'audimat, de la pub. C'est tout bénef'! En plus, on va pouvoir leur refiler des merdes à acheter à ces cons qui se gavent du luxe des vedettes en descendant des Kros.
Le plus déprimant c'est que, subrepticement, cette obsession du pognon a gangréné presque tous les médias. Je me souviens d'une époque pas si lointaine où l'on parlait du travail d'un artiste, pas uniquement de ses revenus. Aujourd'hui, il faut donner des chiffres. Ce sont eux qui sont le mètre étalon de la qualité d'un spectacle, d'un livre ou d'un disque. Ça marche, donc c'est bien! Alors que tout le monde sait très bien que ça n'est pas vrai. Il faut arrêter avec cette idée démagogique que "le public a toujours raison". Non. Parfois, il a tort. Parfois le public, il aime et il bouffe de la merde. Et il en redemande. Parce qu'on la lui a bien emballée avec un bolduc autour, parce qu'on lui a fait un lavage de cerveau télévisuel, parce qu'à force de voir des trucs bidons à la télé il ne sait même plus où sont ses émotions. Et parce que beaucoup de gens ont des goûts de chiottes!
Le public s'est souvent trompé. Les critiques aussi. On s'est moqué de Van Gogh, on a sifflé Gainsbourg, on a fait un procès à Baudelaire, on a emprisonné le marquis de Sade, on a enterré Mozart comme un chien. Ça ne les a pas empêchés d'être ou de devenir les plus grands. Et leurs contemporains pétés de tunes, eux, de sombrer dans l'oubli.
Mais que penser d'un monde, d'un système qui tourne autant autour des bénéfices immédiats? Qui vénère tant ceux qui réussissent. AEt qui réussissent à quoi? A s'en mettre plein les fouilles! "Misère, misère" comme chantait Coluche. Il paraîtrait qu'il y a un problème de valeurs? Affirmatif.
Avec ça, on essaye de nous convaincre qu'il faut trouver du talent à Jeff Koones qui règne en maître sur la médiocrité ambiante en se prenant pour un enfant de Warhol avec ses caniches moches. C'est pathétique. Ouvrons les yeux. Le roi est nu! Ou plutôt: le roi est nul! Et non avenu.
C'est effrayant de voir à quel point l'argent devient de plus en plus LE sujet. Pas l'émotion, ou l'intelligence ou la finesse, ou le culot, ou le courage. C'est qu'il y a plein d'autres valeurs qui vaudraient le coup qu'on en parle. Ben non. "Combien ça coute?", "Combien ça rapporte?". Là, oui. Le nombre de fois que des crétins décérébrés ont cliqué sur un site débile, le nombre de dollars que des milliardaires incultes sont prêts à débourser pour du vide, ça, ça les excite. Ça, ça les fait bander!. Des chiffres, des zéros. Un maximum de zéros. Plus il y a de zéros, mieux c'est! Des zéros, comme le niveau. Qui est bas. Et inversement proportionnel à leur QI.
On se noie dans les chiffres. "Drowning by numbers", comme le titre du film de Peter Greenaway construit comme ces dessins pour enfants où l'image se révèle au fur et à mesure que ceux ci colorient des cases numérotées. Si ce n'est que la nôtre d'image, elle se délite gentiment…